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y auroit de la folie à continuer de le chercher. Me voila donc reſolu de m’en retourner : & pour cét effet, je me fis enſeigner le chemin le plus ſeur & le plus aiſé à tenir. je sçeus donc que le plus court & le meilleur, eſtoit d’aller le long de la Riviere de Cydne : & de laiſſer cette grande Montagne de Cilicie, que l’on apelle le Mont Noir, à main gauche, peu de gens oſant ſe haſarder de la traverſer. Qu’en ſuitte il faloit aller paſſer en Armenie, & gagner le fleuve d’Araxe, où je n’aurois plus beſoin de Guide : sçachant fort bien le chemin, depuis là juſques en mon Pais. Mais comme les Dieux ſe plaiſent quelqueſfois à faire que la tempeſte pouſſe des Vaiſſeaux au Port au lieu de les briſer, ils firent que je m’eſgaray heureuſement : & qu’au lieu de prendre le chemin qui me pouvoit conduire à la Riviere de Cydne, l’en pris un autre qui m’engagea ſi avant dans les détours de cette grande & prodigieuſe Montagne dont je vous ay parlé, que je ne pus jamais trouver les moyens de m’en retirer. Neantmoins comme il faiſoit encore alors aſſez chaud : & que tout le reſte de la Cilicie eſt un Païs extrémement deſcouvert, je ne fus pas d’abord trop marry d’avoir pris un chemin où par l’exceſſive hauteur des pointes de Rochers qui s’ſlevent les unes ſur les autres, je pouvois marcher à l’ombre. Mais à la fin voyant que je ne rencontrois perſonne dans cette affreuſe ſolitude, & que je n’y voyois rien de vivant, qu’une quantité fort grande d’une eſpece de petites Beſtes ſauvages, que les habitans du Païs apellent Squilaques, & qui ſont ſi naturellement portées au farcin, qu’elles ſuivent tous ceux qui paſſent de nuit en ce lieu là, pour leur dérober quelque choſe ; j’advoüe que je me repentis de m’eſtre engagé ſi avant : principalement dans la crainte que j’avois de m’eſgarer