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guere moins, que la ſienne m’avoit ſurpris. je penſe meſme que le Sacrificateur voyant par noſtre action, que nous nous connoiſſions extrémement, & que nous avions beaucoup de joye de nous revoir, en demeura auſſi avez eſtonné : Tiburte me tendant la main, me dit qu’il rendoit graces aux Dieux, de ce qu’il me pouvoit embraſſer auparavant que de mourir : je taſchay alors de luy perſuader qu’il n’eſtoit pas auſſi mal qu’il croyoit eſtre, mais je vy bien qu’il connoiſſoit mieux la grandeur de ſa maladie que je ne la connoiſſois. Car prenant la parole en m’interrompant, non non Orſane, me dit il, ne nous flattons pas : les Dieux ne font pas tous les jours des miracles : & nous nous en rendons ſi peu ſouvent dignes, que nous ne devons pas meſme murmurer lors qu’ils n’en font point. je ſens bien que les remedes me ſont inutiles, & que la fin de mes jours eſt proche : c’eſt pourquoy j’avois envoyé ſuplier ce ſage & charitable Sacrificateur, de vouloir bien eſtre depoſitaire d’un ſecret qu’il eſt important qui ne ſoit pas enſevely dans mon Tombeau. Mais puis que les Dieux vous ont amené ſi à propos icy, je veux le décharger d’une choſe qui ne luy importe pas de sçavoir, & vous la dire en peu de mots. Le Sacrificateur entendant parler Tiburte de cette ſorte, ſe retira afin de le laiſſer en liberté de me dire ce qu’il voudroit : Tiburte l’aſſurant auparavant, que s’il changeoit le deſſein de luy reveler ce qu’il avoit dans le cœur, ce n’eſtoit pas qu’il ne l’eſtimast autant qu’il pouvoit l’eſtimer : mais ſeulement parce qu’il s’agiſſoit d’une perſonne que je connoiſſois, & qu’il ne connoiſſoit point. Apres donc que ce Sacrificateur ſe fut retiré, je voulus commencer de me pleindre aveque luy la mort de noſtre Maiſtre :