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le pût permettre : & ſans deſcendre de cheval, ils ſe ſalüerent avec une eſgale civilité : ayant touteſfois tant d’eſmotion ſur le viſage, & tant de differens ſentimens dans le cœur, qu’ils ſurent un inſtant arreſtez ſans ſe pouvoir rien dire. En effet, Cyrus ne pouvoit pas voir le Roy de Pont, ſans ſe ſouvenir qu’autrefois il avoit eu ſoin de ſa conſervation, lors qu’il l’avoit envoyé advertir de la conjuration que l’on faiſoit contre luy ; & ſans ſe ſouvenir encore qu’il avoit ſaillie la vie à ſa Princeſſe. Mais il ne pouvoit pas non plus ne ſe ſouvenir point en meſme temps, que c’eſtoit le Raviſſeur de Mandane, & le deſtructeur de toute ſa felicité. Le Roy de Pont ne pouvoit pas non plus voir Cyrus, ſans ſe ſouvenir qu’il luy devoit la vie & la liberté, & qu’il luy avoit meſme offert de le faire remonter au Thrône : de ſorte que s’eſtimant infiniment tous deux, & ſe devant auſſi beaucoup, ils agirent d’une façon qui faiſoit aſſez connoiſtre la grandeur de leur ame ; puis que malgré leur amour & leur haine, ils eurent de la civilité l’un pour l’autre. Apres donc que tant de ſentimens tumultueux, ſe ſurent un peu apaiſez dans leur cœur, & que leur raiſon eut fait un grand effort pour les y renfermer : je ſuis au deſespoir, dit le Roy de Pont à Cyrus : que la Fortune ait voulu que je vous ſois ſi obligé : & que l’Amour n’ait pû conſentir, que je ne fuſſe pas ingrat. Ce n’eſt point pour les obligations que vous dittes que vous m’avez, reprit Cyrus, que je vous accuſe, mais ſeulement parce que vous faites une injuſtice effroyable, de retenir une Princeſſe à laquelle ny la Nature, ny la Fortune, ny l’Amour, ne vous ont donné aucun droit. Car pour ce qui me regarde en particulier, je vous ſuis le premier obligé : & tout ce que j’ay fait pour vous, ny meſme