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galante : & quoy qu’elle euſt toute la vertu dont une Femme de ſa condition peut eſtre capable, ce n’eſtoit pas une vertu auſtere. Elle diſoit qu’il faloit eſtre jeune une fois en ſa vie : & qu’il valoit bien mieux avoir l’eſprit jeune à quinze ans qu’à cinquante : de ſorte que le Prince ſon Frere ſe remettant abſolument à elle de la conduitte de ſa Fille, elle l’eſleva avec une honneſte liberté, qui ſans avoir rien de ſevere, luy forma l’eſprit beaucoup pluſtost que celles de ſon âge que l’on nourrit d’une autre ſorte n’ont accouſtumé de l’avoir : ſi bien qu’à douze ans, la Princeſſe de Claſomene agiſſoit avec autant d’eſprit & de jugement, que ſi elle en euſt eu vingt, Pour ſa beauté, je ne vous diray pas quelle elle eſtoit, puis que vous pouvez juger par ce qu’elle eſt, de ce qu’elle a touſjours eſté. je vous diray touteſfois, qu’elle a eu cela de particulier, qu’elle a eſclatté tout d’un coup : eſtant certain que cette Princeſſe a eſté parfaitement belle dés le berçeau. Son humeur quoy que ſerieuse, n’a pas laiſſé d’eſtre touſjours fort agreable, parce qu’elle l’a touſjours euë fort complaiſante & ; fort douce : de ſorte que joignant beaucoup de bonté a un des plus beaux eſprits de la Terre, & à la plus grande beauté de toute la Lydie, il eſt aiſé de comprendre que la Princeſſe de Claſomene attira l’admiration de tout le monde. Il ſembla meſme qu’une partie de ſa beauté & de ſon eſprit, ſe communiquaſt à toute la Ville : eſtant certain que lors qu’elle paſſa de l’enfance a un âge plus raiſonnable, le ſoin de luy plaire rendit toutes les Femmes plus propres & plus aimables, & tous les hommes plus honneſtes gens. Comme elle eſtoit bienfaiſante & liberale, elle fut adorée de tous ceux qui l’approcherent, & meſme de ceux qui ne faiſoient