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coup : car apres avoir fait tout ce qu’il avoit pû pour l’obliger à s’en aller, il fit alors tout ce qu’il pût pour le retenir encore quelque temps : luy ſemblant que c’eſtoit un grand avantage pour luy, que de differer de quelques inſtants, le plaiſir que devoit avoir Abradate de voir Panthée. Il eſt vray que ce qu’il dit à ce Prince fut ſi mal lié, & fut quelqueſfois ſi peu à propos, qu’il commença de ſoubçonner quelque choſe de la veritable cauſe du deſespoir de Perinthe : de ſorte qu’apres avoir encore reſpondu deux ou trois fois aux queſtions que luy fit ce malheureux Amant pour le retenir davantage aupres de luy, il le quitta, & vint chez la Princeſſe, qu’il ne trouva pas : mais m’ayant demandée, & ayant sçeu que je ne l’avois pas ſuivie, il ne laiſſa pas d’entrer, en attendant qu’elle revinſt.

Comme le ſoubçon qu’il avoit de l’amour de Perinthe, le mettoit en inquietude, il me parut aſſez reſveur : ſi bien que prenant la liberté de luy demander d’oùr pouvoit venir cette reſverie, dans un temps ſi heureux pour luy ? il me dit que le mal de Perinthe l’affligeoit : en ſuitte dequoy m’ayant repreſenté toutes les inquietudes qu’il avoit remarquées dans ſon eſprit, il vit bien que je sçavois peut-eſtre quelchoſe de ce qui les cauſoit. Ce n’eſt pas que je luy diſſe rien qui deuſt le luy faire juger : mais c’eſt que j’ay ce malheur, de ne pouvoir pas empeſcher mes yeux de deſcouvrir ſouvent le ſecret de mon cœur. Abradate ne pouvoit touteſfois ſe reſoudre à me dire ce qu’il penſoit : & nous parlaſmes durant quelque temps d’une maniere aſſez rare : car nous ne diſions pas ce que nous penſions, & nous nous entendions pourtant parfaitement. Mais apres que cela eut duré quelque temps, tout d’un coup Abradate ſe mit à me prier de ne parler