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me fait trop de grace de ſonger à moy, en un temps où je croyois qu’elle ne s’en devoit pas ſouvenir : mais Seigneur, on n’eſt pas touſjours en pouvoir de vivre quand on le voudroit : & on n’eſt pas meſme touſjours en puiſſance de le vouloir. j’advoüe que ceux qui ont de grandes afflictions, reprit Abradate, ne ſont quelqueſfois pas Maiſtres de leurs propres deſirs : mais pour vous Perinthe, qu’avez vous qui vous puiſſe porter dans le deſespoir ? tout le monde fait cas de voſtre vertu, le Prince de Claſomene vous aime ; la Princeſſe ſa Fille vous eſtime autant qu’il eſt poſſible ; & je vous promets ma protection toute entiere. Apres cela, je croiray, ſi voſtre douleur continue, que Doraliſe a eu raiſon de penſer que vous eſtiez amoureux : mais quand cela ſeroit Perinthe, encore ne faudroit il pas ſe deſesperer. Car enfin, peut on eſtre plus malheureux que je le me ſuis veû, ny plus eſloigné de la poſſession de Panthée ? Cependant vous voyez l’heureux changement qui eſt arrivé eu ma fortune. je voy en effet, interrompit Perinthe en ſoupirant, mais je ne voy pas par où je pourrois eſtre moins malheureux que je ne le ſuis. Quoy qu’il en ſoit Seigneur (pourſuivit il avec un chagrin eſtrange) jouïſſez en repos de voſtre felicité, & laiſſez moy s’il vous plaiſt ſouffrir les maux qui m’accablent, ſans y chercher de remede : car je ſens bien que vous y en chercheriez inutilement. Abradate voyant que plus il parloit à Perinthe, plus il l’irritoit, ſe leva pour s’en aller, luy diſant qu’il eſtoit bien marry d’eſtre contraint d’aller porter une ſi fâcheuſe nouvelle à la Princeſſe. Perinthe jugeant donc par le diſcours de ce Prince, que des qu’il ſeroit hors d’aupres de luy, il iroit aupres de Panthée, changea de deſſein tout d’un