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cette fois là d’autruy par vous meſme ! mais il ya une notable difference de vous à moy : & ſi grande, que je ſuis aſſuré, que ce qui fait bien ſouvent vos plaiſirs, fait auſſi bien ſouvent mes douleurs : tant il eſt vray que voſtre ſort & le mien ſont oppoſez l’un a l’autre. Quoy qu’il en ſoit Perinthe, reprit Abradate, je ſuis aſſuré que ſi vous vivez, comme je le ſouhaite, vous ſerez plus heureux que vous n’avez jamais eſté : car ſoit que vous veüilliez venir à Suſe, ou demeurer à Claſomene, ou à Sardis, je vous engage ma parole, de mettre voſtre fortune en eſtat, que du coſté de l’ambition, vous n’aurez rien à deſirer. Si j’eſtois raiſonnable, reprit Perinthe, je devrois vous rendre mille graces, de la generoſité que vous avez de parler comme vous faites, à un homme qui vous doit deſja la vie : mais Seigneur, il y a preſentement en moy une ſi noire melancolie eſpanduë ; qui trouble ſi fort ma raiſon ; & qui me rend ſi diſſemblable à moy meſme ; que je ne puis avoir un plus ſensible déplaiſir, que d’ouïr parler de choſes agreables. Tout ce qui n’eſt point funeſte, m’irrite & me met en colere : c’eſt pourquoy je vous conjure de me laiſſer ou guerir, ou mourir en repos. Mais comment guerirez vous, repliqua Abradate, ſans vouloir guerir ? ſi je ne gueris pas je mourray (reſpondit il bruſquement malgré qu’il en euſt : ) mais ſi vous mouriez, reprit Abradate, la Princeſſe Panthée & moy, en ſerions inconſolables : c’eſt pourquoy vous ne devez pas trouver eſtrange ſi je veux vous perſuader de vivre. C’eſt de la part de cette Princeſſe, adjouſta t’il, que je vous ordonne de vouloir ſouffrir qu’on prenne ſoin de vous : & de ne vous obſtiner pas à ne vouloir point eſtre ſecouru. La Princeſſe (reſpondit Perinthe, en calmant un peu l’agitation de ſon eſprit)