Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/221

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas que ce fuſt une paſſion ſi forte. Eh Dieux, interrompit Perinthe, comment avez vous pû penſer que l’on pûſt aimer la Princeſſe avec mediocrité ? & comment avez vous pû sçavoir, comme je sçay que vous l’avez sçeu, que je ne reſpondois pas à la propoſition qu’elle me faiſoit d’entreprendre de vous ſervir, ſans croire que je devois avoir une paſſion bien violente : & que Panthée ſeulement pouvoit empeſcher Perinthe d’aimer Doraliſe ? en effet, adjouſta t’il, je ne doute nullement qu’ayant pour vous toute l’eſtime dont je ſuis capable, je n’euſſe eu auſſi beaucoup d’amour, ſi mon cœur n’euſt pas eſté engagé : c’eſt pourquoy ſans m’accuſer d’inſensibilité pour vous, pleignez moy je vous en conjure : & m’aidez à cacher pour quelques jours qui me reſtent à vivre, ce que l’ay caché avec tant de ſoin toute ma vie. Mais eſt il poſſible, interrompit Doraliſe, que vous ne puiſſiez ſousmettre voſtre eſprit à voſtre fortune, & vouloir enfin ce que vous ne sçauriez empeſcher ? n’avez vous pas touſjours sçeu, adjouſta t’elle, que vous ne polluiez jamais rien pretendre à la Princeſſe : non pas meſme de l’obliger à ſouffrir voſtre paſſion ? Ouy, repliqua l’affligé Perinthe en ſoupirant ; pourquoy donc, reprit elle, eſtes vous ſi deſesperé ? c’eſt parce, reſpondit il, que le ſeul homme que je ne voulois pas qui fuſt heureux le va eſtre. Ce que vous dittes, reprit Doraliſe, paroiſt pluſtost une marque de haine pour Abradate, qu’une prenne d’amour pour Panthée : Ha Doraliſe, s’écria t’il, que vous eſte peu sçavante aux effets de l’amour, ſi vous croyez ce que vous dittes ? car enfin ſi je n’aimois point Panthée, j’aimerois ſans doute Abradate : ouy Doraliſe, tout preocupé que je ſuis de ma paſſion, je ne laiſſe pas de connoiſtre qu’