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que quelque temps depuis, qu’il m’advoüa tout ce que je viens de dire. Cependant le dangereux poiſon qu’il avoit dans l’ame, envenima ſi fort ſa bleſſure, qu’il n’en pouvoit guerir : & ſon corps vint à n’eſtre guere plus ſain que ſon eſprit. Il eſtoit foible ; paſle ; & languiſſant ; ayant une fiévre lente, qui ne l’abandonnoit pas un moment. Mais durant qu’il ſouffroit tant de maux ſecrets, Abradate eſtoit beaucoup plus heureux qu’il n’avoit eſté : car le Prince de Claſomene, sçachant ce qu’il avoit fait pour la Princeſſe ſa Fille, le traitoit incomparablement mieux qu’à l’ordinaire : & ne pouvoit pas avec bien-ſeance, luy deffendre d’aller viſiter Panthée : aupres de laquelle ne trouvant plus Mexaris, il avoit de plus douces heures. On sçeut meſme que ce Prince, qui s’eſtoit retiré dans une Ville dont le Gouverneur eſtoit à ſa diſposition, eſtoit aſſez dangereuſement bleſſé : ſi bien que ſans avoir ſeulement la crainte de le voir revenir, il jouïſſoit d’autant de plaiſirs, que Perinthe avoit d’infortunes. Il avoit pourtant touſjours l’inquietude de sçavoir que Creſus n’eſtoit pas plus diſposé qu’à l’ordinaire à conſentir qu’il eſpousast Panthée : ainſi au milieu de ſes plus heureux jours, il avoit de fâcheuſes heures.

Apres avoir veſcu quelque temps de cette ſorte, il sçeut que Creſus ayant conferé avec le Prince de Claſomene, avoit enfin reſolu qu’il s’en retournaſt, & qu’il menaſt la Princeſſe ſi fille aveque luy : afin que l’abſence gueriſt Abradate, de la paſſion qu’il avoit dans l’ame. Perinthe comme vous pouvez penſer : ne s’oppoſa pas à ce deſſein : au contraire, il l’appuya ſi fortement aupres de ſon Maiſtre, & le fit apuyer ſi puiſſamment par Andramite aupres de Creſus, que lors que l’on commença de