Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/171

Cette page n’a pas encore été corrigée

de peine à ceux qui les aiment. Il en eſt auſſi, répliqua froidement Mexaris, qui ſont fort avantageux à quelques uns : & qui les font quelqueſfois preferer ſans raiſon à d’autres qu’ils ne valent pas. Ce que vous dittes peut ſans doute arriver, reprit Abradate, mais pour moy qui ay beaucoup de reſpect pour les Dames, & qui n’ay pas moins bonne opinion de leur jugement que de leur eſprit, je ſuis perſuadé que pour l’ordinaire, les Amants heureux méritent de l’eſtre. Vous avez ſans doute raiſon, dit Doraliſe ; & tous ces Amants pleintifs, qui ne parlent jamais qu’en accuſant la perſonne qu’ils aiment, de caprice ou de peu de jugement, ſont aſſurément & capricieux, & peu judicieux tout enſemble. Ce ſont, dis-je, de ces gens, qui s’offencent de peu de choie : & qui s’eſtimant beaucoup plus qu’ils ne méritent de l’eſtre, croyent qu’on leur fait une injuſtice extrême de ne les choiſir pas, & de ne les eſtimer pas autant qu’ils s’eſtiment eux meſmes. Il eſt vray (dit la Princeſſe ſans s’en pouvoir empeſcher) que j’en connois qui font ce que vous dittes : j’en connois auſſi, reprit malicieuſement Doraliſe, & peuteſtre ſont-ce les meſmes dont vous entendez parler. Mais quoy qu’il en toit, adjouſta t’elle, comme l’Amour eſt aveugle auſſi bien que la Juſtice, il faut qu’il agiſſe dans le cœur des Dames, comme elle doit agir dans le cœur des luges : c’eſt a dire que ſans ſe ſoucier de la Grandeur ; delà qualité ; des menaces : & des pleintes des pretendans ; il faut juger equitablement, du mérite & du ſervice de ceux qui ſe donnent à nous. Que ne jugez vous donc en faveur d’Andramite ? reprit Abradate ; je ne trouve pas que je le puiſſe, repliqua t’elle, & toute la grâce que je luy