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de Cleandre ; il ſe trouva l’ame en une aſſiette mal affermie. Tant qu’il ne s’eſtoit agy que d’eſloigner un Amant aimé, il luy avoit ſemblé qu’il luy eſtoit tres avantageux, que Mexaris fuſt preferé à Abradate : mais il ne regarda pas pluſtost Mexaris comme devant bien toſt eſpouser Panthée, qu’il eut autant d’envie de deſtruire ſon deſſein, qu’il en avoit eu de l’avancer. Apres, venant à conſiderer, quel malheur ſeroit celuy de la Princeſſe, d’eſpouser un Prince pour qui il sçavoit qu’elle avoit une averſion invincible ; il ſe repentoit de tout ce qu’il avoit fait. Il ſentoit pourtant bien que s’il euſt encore eu à recommencer, afin de traverſer Abradate dans ſes intentions, il auroit encore fait la meſme choſe, c’eſt à dire qu’il auroit entretenu comme il avoit fait dépuis ſon retour de l’Armée, le Prince de Claſomene dans le deſſein de faire eſpouser ſa fille à Mexaris. Mais alors croyant que la choſe eſtoit preſte de reüſſir, il en entra en un deſespoir étrange : & il m’a dit qu’il fut tenté cent & cent fois, d’aller confeſſer tous ſes crimes à la Princeſſe, & de ſe tüer à ſes pieds. En effet, diſoit il, que me reſte t’il à faire qu’à mourir, puis que je ne puis jamais eſtre heureux, & que je ne puis meſme vivre miſerable, ſans traverſer le bonheur de la ſeule Perſonne que j’ayme ? Mais, diſoit il quelqueſfois, pourquoy donc ne sçaurois-je conſentir qu’elle eſpouse Mexaris ; car puis que je sçay de certitude, que je n’y puis jamais rien pretendre, je ne sçaurois trouver une meilleure voye de l’oſter pour touſjours à Abradate, que de la donner pour touſjours à Mexaris. Mais reprenoit il un moment apres, ce Mexaris n’eſt il pas mon Rival auſſi bien que l’autre ? & peut-on imaginer que l’on puiſſe avoir de l’amour, & ſouffrir que