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fort injuſte. De ſorte, interrompit Doraliſe en riant, que ſelon ce que dit Perinthe, de qui je ne combats pourtant pas les ſentimens, on peut conclurre que s’il aime, il aime au deſſus, ou au deſſous de luy : & dés là, adjouſta t’elle, je n’ay que faire de me flatter de la penſée que peut— eſtre j’ay aſſujetty ſon cœur : puis qu’eſtans tous deux à peu prés de meſme qualité, je n’ay rien à y pretendre. Perinthe, interrompit la Princeſſe, ne parle de cela qu’en general, & ne s’en fait pas l’aplication particuliere : & certes à dire vray, adjouſta t’elle, j’aime aſſez Perinthe pour ne le vouloir pas ſoubçonner d’une pareille choſe : car il me ſemble aſſez ſage pour n’aller pas entreprendre un deſſein impoſſible : & aſſez glorieux auſſi, pour n’aimer pas une perſonne de baſſe condition. Perinthe ſe trouva alors eſtrangement embarraſſé : car d’advoüer à la Princeſſe qu’elle avoit raiſon, ſon amour n’y pouvoit conſentir : de luy dire qu’elle ſe trompoit, c’eſtoit s’expoſer ou à deſcouvrir ſon ſecret, ou à eſtre ſoubçonné d’une paſſion indigne de luy : de ſorte que biaiſant ſa reſponce adroitement, il fit ſi bien que la Princeſſe ny Doraliſe, ne trouverent rien à ce qu’il dit, ſur quoy elles puſſent faire un fondement raiſonnable. Cependant, dit la Princeſſe, mous faiſons le plus grand tort du monde à tant d’illuſtres Guerriers qui n’ont prodigué leur ſang, & hazardé leurs vies, qu’afin que l’on parle d’eux : car enfin au lieu de parler des grandes actions qu’ils ont faites à la guerre, nous nous amuſons à parler d’amour : & d’une amour encore, adjouſta t’elle, pleine d’extravagance & de folie. Apres cela, comme il eſtoit deſja tard, elle ſe leva, & ſe retira chez elle : où Abradate eſtoit deſja allé viſiter le Prince ſon Pere,