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peut eſtre que je me trompe : mais il eſt vray que j’avois toujours crû que les Princes ne pouvoient avoir que des Creatures & des Serviteurs, & peu ſouvent des Amis : & que j’avois penſé au contraire, que la puiſſance de l’amour n’eſtoit pas renfermé dans des bornes ſi eſtroites, que celles que vous luy preſcrivez. Ha ? pour cette derniere choſe, dit la Princeſſe, je la tiens d’une abſoluë neceſſite : je ne tiens pas, adjouſta t’elle, qu’il ſoit impoſſible qu’un homme de qualité s’abaiſſe juſques à aimer au deſſous de luy : mais je dis que la diſproportion en amour, eſt la plus extravagante choſe du monde. Mais Madame (dit Doraliſe en riant, & voulant faire parler Perinthe) vous ne ſongez pas que cette paſſion eſt dans le cœur des hommes, devant que la force euſt mis de la difference entre eux, & euſt fait des Princes & des Souverains : ainſi ſelon l’intention des Dieux, l’eſgalité neceſſaire à faire que l’amour ſoit raiſonnable, eſt l’eſgalité du merite & de la perſonne, & non pas de la condition, qui eſt une choſe eſtrangere : & qui ne ſert quelqueſfois, qu’à rendre ceux qui la poſſedent la plus haute, plus meſprisables & plus meſprisez, quand ils ne s’en trouvent pas dignes. Il me ſemble Madame, reprit Perinthe, que Doraliſe parle avec beaucoup de raiſon : il me ſemble du moins, repliqua la Princeſſe, qu’elle parle avec beaucoup d’eſprit : mais je ne laiſſe pas de ſoutenir, qu’il y a une certaine bienſeance univerſelle, que l’uſage a eſtablie, qui doit tenir lieu de raiſon & de loy : & qui veut ſans doute que la qualité des perſonnes qui ont à s’aimer de cette ſorte, ne ſoit pas diſproportionnée. Si l’amour, dit Perinthe, eſtoit une choſe volontaire, je penſe que ce que vous dittes ſeroit equitablement dit : mais cela n’eſtant pas, je ſuis perſuadé qu’il eſt