Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/131

Cette page n’a pas encore été corrigée

magnifique, car ce ſeroit perdre le temps inutilement : mais je vous diray qu’apres avoir veû paſſer les Priſonniers, les Drapeaux, & tout le butin fait ſur les Ennemis ; nous viſmes enfin paroiſtre (apres avoir veû auparavant plus de dix mille hommes à Cheval) le Roy, & aupres de luy, Abradate & Cleandre : comme ceux qui avoient en effet merité toute la gloire du Triomphe. Pour moy qui obſervois ſoigneusement tout ce qui ſe paſſoit, je m’aperçeus que dés qu’Abradate parut, il connut la Princeſſe, & vit Mexaris aupres d’elle : car depuis que je le vy, il eut touſjours les yeux levez vers la feneſtre où elle eſtoit. Ce Prince avoit ce jour la ſi bonne mine, & eſtoit ſi magnifiquement habillé, que je ne l’avois jamais veû mieux : Mexaris ne l’eut pas pluſtost aperçeu, qu’il regarda ſi la Princeſſe le voyoit : & il fut en effet ſi heureux, ou pour mieux dire ſi malheureux, qu’il fut teſmoin du premier ſentiment que la veuë d’Abradate luy donna. Car encore qu’elle ſe fuſt preparée autant qu’elle avoit pû à cette premiere veuë, elle rougit dés qu’elle aperçeut Abradate : & rougit meſme d’une certaine façon qui fit que Mexaris remarqua de la joye dans ſes yeux. Quelque douleur qu’il en euſt, il demeura pourtant conſtamment à ſa place : mais quoy qu’il pûſt dire à la Princeſſe, avec intention de la forcer à luy parler quand Abradate paſſeroit devant leurs feneſtres, il ne pût l’obliger à luy reſpondre. De ſorte que Doraliſe s’en apercevant, Seigneur (luy dit elle afin de l’occuper) ne vous eſtonnez pas du ſilence de la Princeſſe : car l’ay remarqué il y a long temps, que j’ay cette conformité avec elle, de ne pouvoir regarder, eſcouter, & parler en meſme temps. Auſſi ne voudrois je pas qu’elle le fiſt, reprit il, car je voudrois qu’elle ne regardaſt