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mauvais que je vous ſuplie de ſouffrir que je vous refuſe, & que je ne me mette pas mal aupres d’elle. Mais, luy dit Cleandre, la Princeſſe ne le sçaura pas, & par conſequent cela ne vous nuira point : puis que je le sçaurois, reprit il, je ſerois touſjours aſſez tourmenté, d’avoir fait une choſe contre mon devoir. Mais Perinthe, luy dit Abradate, vous en faites une contre l’amitié, de me refuſer cette Lettre : du moins ſouffrez que je la garde quelques jours, avec promeſſe de vous la rendre. Tout à bon, dit Cleandre en regardant Perinthe, vous eſtes un peu trop exact, pour ne pas dire trop rigoureux : car enfin, adjouſta t’il, quelque reſpect que vous ayes pour la Princeſſe, je ne voy pas que vous luy fiſſiez un grand tort, de laiſſer ſa Lettre entre les mains d’un Prince, qui la conſerveroit avec un ſoin bien different ſans doute de celuy que vous en aurez. Quoy qu’il en ſoit, dit Perinthe tout eſmeu, je ſeray tres aiſe de faire ce que je dois : du moins, dit Abradate, ſuis-je fortement reſolu de ne vous la rendre point, que je n’en aye une copie : ha Perinthe (s’eſcria Cleandre, ſans luy donner loiſir de parler) il ne faut pas ſeulement mettre la choſe en doute, à moins que de vouloir de deſſein premedité deſobliger tout à la fois le Prince Abradate & moy. je ſuis bien malheureux, reprit il, de me trouver en une ſi fâcheuſe conjoncture : enfin, dit Cleandre, il faut obeïr à vos Amis : & pour vous mettre l’eſprit en repos, je me charge de dire à la Princeſſe, ſi elle vient à sçavoir la choſe, que vous vous y eſtes oppoſé avec autant d’ardeur, que ſi vous aviez eſté amoureux, & qu’un de vos Rivaux vous euſt demandé copie d’une Lettre de voſtre Maiſtresse. Apres cela, Cleandre ſans attendre la reſponce de Perinthe, commanda à un