car enfin je ſuis perſuadée, que puis que vous avez eu la hardieſſe de me parler comme vous avez fait, vous ne m’eſtimez pas aſſez. je ne sçay ſi je ne vous ay point deſja dit cela une autrefois : mais quand je vous l’aurois dit cent, ce ne ſeroit pas encore trop, pour vous perſuader que bien que j’eſtime infiniment toutes les excellentes qualitez qui ſont en vous ; puis que vous ne m’eſtimez pas autant que je veux l’eſtre, je ne vous sçaurois eſtre obligée de l’affection que vous dittes avoir pour moy. Mais Madame, reprit Abradate, quelle plus grande marque d eſtime peut on donner à une perſonne, que de luy donner ſon cœur tout entier ; que de la faire Maiſtresse abſolué de ſon deſtin ; & que de ne vouloir vivre & mourir que pour elle ? Voila, Madame, l’eſtat où je parois devant vous : & apres cela vous pouvez dire que je ne vous eſtime pas avez. Si vous m’aviez donné quelques marques, par vos regards ſeulement, que vous auriez entendu les miens, j’aurois ſans doute eu ce reſpect là pour vous, que de ne vous parler pas de mon amour : & je me ſerois accommodé à cette ſeverité qui paroiſt en voſtre humeur. Mais vous sçavez, Madame, que vos yeux ne m’ont jamais rien dit de favorable : que vouliez vous donc que je fiſſe, eſtant preſt de m’éloigner, & laiſſant à Sardis un Prince tel que Mexaris ? Du moins Madame, pourſuivit il, ſi vous ne voulez pas que je sçache comment je ſuis dans voſtre eſprit, aprenez moy donc ſeulement comment y eſt mon Rival : car pourveû qu’il y ſoit un peu plus mal que moy, je vous proteſte que je partiray ſans murmurer, & ſans vous demander nulle autre grace. Vous n’avez donc, reprit la Princeſſe en ſous-riant, qu’à me laiſſer en repos, & qu’à vous y
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