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DIG-DIG.

Comment ! si ça se peut ?… Moi qui vous-parle, je me rappelle parfaitement avoir été girafe.

GUIDO.

Vous avez été girafe ?

DIG-DIG.

Pendant vingt ans, en Égypte !… puis chameau…

GUIDO.

Vraiment !… Eh bien, il vous en reste encore quelque chose.

DIG-DIG.

Je ne dis pas !… Mais vous, rien qu’en vous voyant, je pourrais vous dire… Vous avez dû être mouton.

GUIDO, froidement.

C’est possible !…

DIG-DIG.

Un beau mouton.

GUIDO.

Je le croirais assez… D’abord je l’aime beaucoup… ce qui est peut-être un reste d’égoïsme !… Ensuite, la facilité que j’ai toujours eue à me laisser manger la laine sur le… Ah ! mon Dieu ! quand j’y pense… puisque vous êtes si savant, j’ai une demande à vous faire… une demande d’où dépend le bonheur de ma vie.

DIG-DIG.

Parlez, mon fils.

GUIDO.

Vous saurez que j’ai ici une chatte charmante… un angora magnifique !…

DIG-DIG.

Je la connais.

GUIDO, avec une nuance de jalousie.

Comment ? vous la connaissez !

DIG-DIG.

Je l’ai souvent admirée, quand Marianne, votre vieille gouvernante, la portait sur son bras. J’ai même fait causer cette brave femme plusieurs fois, et j’en sais sur vous plus que vous ne croyez.

GUIDO.

Eh bien, dites-moi, qu’est-ce que vous pensez de Minette ? qu’est-ce que ça doit être ?

DIG-DIG.

C’est bien aisé à voir ! à l’esprit qui brille dans ses yeux… à la grâce qui anime tous ses mouvements, je vous dirai, mon cher, que cette enveloppe cache la jeune fille la plus jolie et la plus malicieuse.

GUIDO, avec transport.

Dieu ! que me dites-vous là ? tout s’explique maintenant… et l’instinct de l’amour n’est point une chimère ! Apprenez que mon cœur avait deviné sa métamorphose, et que cette jeune fille aimable… si gracieuse… je l’aime… je l’adore…

DIG-DIG.

Il serait possible !

GUIDO.

Et c’en est fait du jeune Guido, si vous ne m’enseignez pas quelque moyen, quelque secret… il doit y en avoir… ô vénérable Indien !

DIG-DIG, avec mystère.

Chut ! je ne dis pas non… Vous sentez bien qu’on n’a pas été, pendant dix ans, près du Gouron sans avoir escamoté quelques-uns de ses secrets… et j’ai là un amulette dont la vertu est infaillible pour opérer la transmigration des âmes à volonté. (Il montre une bague.)

GUIDO.

En vérité !

DIG-DIG.

Il suffit de la frotter en prononçant trois fois le nom de Brahma.

GUIDO.

Ah ! mon ami ! mon cher ami ! si vous vouliez me la céder… tout ce que j’ai… mon sang, ma vie…

DIG-DIG.

Je ne vous cache pas que c’est fort cher… ce sont des articles qui manquent dans le commerce… et à moins de 200 florins.

GUIDO, allant au coffre.

Tenez, tenez, en voilà déjà cent… ils ne seront pas restés longtemps en caisse… et pour le reste, je vous ferai mon billet.

DIG-DIG.

Dieu ! quelle tête ! et quelle imagination !… si c’est ainsi que vous faites toutes vos affaires, ô mon fils ! Tenez… prenez…

GUIDO, prenant la bague.

Elle est à moi !… quel bonheur !

(Il court au lit où repose Minette.)

DIG-DIG, l’arrêtant.

Prenez garde, prenez garde, vous ne savez pas ce que vous désirez, et avant la fin du jour, vous vous repentirez peut-être d’avoir fait usage de ce talisman ! songez-y bien, ô jeune imprudent !

RÉCITATIF.
Avant que ta voix anime
Cet être qui te charma,
Rappelle-toi la maxime
Que nous prescrivit Brahma.
Cette maxime profonde,
Livre trois, premier verset :
« Ne dérangez pas le monde,
» Laissez chacun comme il est. » (Bis.)

(Dig-Dig salue gravement et sort en disant :)

Ne vous dérangez donc pas, je vous en prie.