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MINETTE.

Pas trop : toujours exposée au soleil… le moyen de rester fraîche et jolie ! Aussi, chaque jour, j’adressais ma prière à Brahma.

AIR.
Brahma, Brahma, Brahma,
Change-moi, Brahma !
Mon bon Brahma,
Par toi j’espère
Ce bonheur-là,
Puisque ta voix, déjà, déjà,
À ma prière
Me transforma.
Sois satisfaite !
Répond Brahma.
Et, crac ! voilà
Qu’en alouette
Il me changea.
Soudain, quittant le sol,
Dans l’air je prends mon vol,
Imitant les bémols
Des rossignols.
Mais un jour, au miroir,
Le désir de me voir
Me fit prendre aux filets ;
Et je disais :
Ah ! change-moi, Brahma,
Mon bon Brahma !
Oui, je réclame ce bonheur-là.
Soudain, voilà
Qu’en jeune chatte
Il me changea.
De moi l’on raffolait,
Chacun me cajolait :
Toujours du pain mollet
Et du bon lait !
Mais les chats, ont, dit-on,
Le naturel félon.
Pour eux j’en rougissais,
Et je disais :
Change-moi, Brahma,
Mon bon Brahma !
Par toi, j’espère
Ce bonheur-là,
Puisque ta voix, déjà, déjà,
À ma prière
Me transforma.
Soudain, voilà
Qu’en une femme il me changea !
Mais, cette fois, restons-en là.
Brahma, Brahma,
Ne changeons plus, restons-en là !
GUIDO.

On vient… c’est sans doute ma vieille gouvernante… qu’elle ne puisse pas soupçonner ton ancienne condition !

MINETTE.

Sois tranquille : je suis discrète.

GUIDO.

Et elle est discrète encore ! Quand je me la serais faite moi-même… Chut ! la voici !


Scène VII.

Les Mêmes, MARIANNE, portant un panier.
MARIANNE, à part.

C’est fini ; le marché est conclu : je l’ai vendue pour trois florins ; mais je n’aurai jamais le courage de… (Haut.) Que vois-je… une femme en ces lieux !

(À l’entrée de Marianne, Minette se place à la droite de Guido, et cherche à se cacher aux yeux de la gouvernante.)

GUIDO.

Te voilà bien étonnée, ma pauvre Marianne ! C’est… c’est… la fille d’un ancien ami de mon père… qui arrive à l’instant même… d’Angleterre.

(Pendant ce temps, Marianne a déposé sur la table ce qu’elle portait.)

MARIANNE, la regardant.

D’Angleterre !

GUIDO.

Oui, une jeune lady !… comme elle était sans asile, je lui en ai offert un… elle logera avec nous.

MARIANNE.

Avec nous ! (Posant son panier.) Ah bien ! par exemple, voici du nouveau !

MINETTE, à part.

C’est le déjeuner qu’elle rapporte… c’est de la crème : ah ! tant mieux !

(Elle passe sa langue sur ses lèvres.)

MARIANNE.

Comment ! not’maître… vous qui aviez renoncé aux femmes !

GUIDO.

Ah ! celle-ci ! quelle différence ! c’est d’une toute autre espèce… C’est la candeur ! l’innocence même !

MARIANNE, avec ironie.

Et elle arrive d’Angleterre ? (Elle porte le coffre dans la chambre à droite, et commence à mettre sur la table tout ce qu’il faut pour déjeuner.) Je vois ce que c’est… Monsieur est las de mes services… C’est une jeune gouvernante qu’il lui faut… Mais en la voyant de cet âge-là, Dieu sait ce qu’on en dira… On ne vous épargnera pas les propos, ni les coups de patte.

GUIDO, regardant Minette.

Pour ce qui est de ça, nous ne les craignons pas… et nous sommes là pour y répondre, n’est-ce pas, chère amie !

MARIANNE, allant à lui.

Chère amie ! qu’est-ce que j’entends là ? se-