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rais toute ma vie d’avoir pu faire du tort à une femme qui le mériterait ; ainsi, à plus forte raison… Mais tiens, je t’en prie ; ne parlons plus de cela. Apprends-moi plutôt qui t’amène de si bonne heure chez notre ami Dorbeval.

POLIGNI, soupirant.

Ah ! j’en aurais trop à te dire ! En d’autres lieux, dans un autre moment, je t’ouvrirai mon cœur ! Qu’il te suffise de savoir qu’il est des espérances, bien éloignées sans doute, mais qui, un jour enfin, peuvent se réaliser ; qu’il est au monde une personne à qui est attachée ma destinée, et si j’ai désiré la fortune, c’était pour la lui offrir ; c’était pour la partager avec elle. Voilà pourquoi j’ai sollicité une place brillante, qui, chaque jour, m’était promise, et qui m’échappait toujours ; voilà pourquoi j’ai fréquenté ces hautes sociétés où j’espérais trouver des protecteurs, et où je n’ai trouvé que des occasions de dissipations et de dépenses. Ce faste, cet éclat, ces salons dorés qu’ils habitent, ce luxe qui les environne, et auquel peu à peu je me suis habitué, tout cela est devenu pour moi un tel besoin que je ne puis plus m’en passer ; c’est mon être, c’est ma vie ; je suis là chez moi ; et le soir, en rentrant dans mon humble demeure, je me crois en pays étranger. Aussi le lendemain, j’en sors à la hâte pour briller de nouveau et pour souffrir, pour haïr les gens plus riches que moi et pour tâcher de les imiter. Voilà mon existence, et malgré les privations intérieures, que je m’impose, malgré l’ordre et l’économie qui règlent ma conduite, je ne peux pas m’empêcher sou-