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dans la petite. Soyez donc dix ans à créer un chef d’œuvre ! Nous mettons trois jours à composer les nôtres ; et encore souvent nous sommes trois : ainsi calcule.

RÉMY.

C’est l’affaire d’un déjeûner.

DELMAR.

Comme tu dis, les déjeûners jouent un grand rôle dans la littérature : c’est comme les dîners dans la politique. De nos jours, combien de réputations et de fortunes enlevées à la fourchette ! Je sais bien que nos chefs-d’œuvre valent à peu près ce qu’ils nous coûtent. Mais on en a vu qui duraient huit jours ; quelques-uns ont été jusqu’à quinze ; et quand on vit un mois, c’est l’immortalité, et on peut se faire lithographier avec une couronne de laurier.

RÉMY.

Et tu es heureux ?

DELMAR.

Si je suis heureux !

Air des Amazones.

N’allant jamais implorer la puissance,
Je ne crains pas qu’on m’arrête en chemin ;
Libre et tout fier de mon indépendance,
Par le travail j’embellis mon destin ;
Aux malheureux je peux tendre la main.
Quand je le veux, je cède à la paresse ;
L’amour souvent vient agiter mon cœur.

(Prenant la main de Rémy.)

J’ai retrouvé l’ami de ma jeunesse,
Dis-moi, mon cher, n’est-ce pas le bonheur ?

Et toi, mon cher, comment vont les affaires ?