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les grand’mamans elles-mêmes, les grand’mamans, que je croyais désintéressées, songent à ma fortune pour leurs petites-filles ! Et jusqu’à mon cousin Blumshal, qui, me voyant tout ému et tout bouleversé de tant d’horreurs, vient à moi les bras ouverts, et s’écrie avec un air d’intérêt : « Qu’as-tu donc, cousin ?… ta pâleur m’effraie… » tandis qu’en lui-même, le traître se disait avec joie : « Dieu ! s’il était attaqué de la poitrine ! »

LE COMTE.

Et cela te surprend ?…

ALCÉE.

Oui, cela m’indigne, cela me rend furieux contre moi-même, qui les aimais tous, qui les aimais de confiance, et qui étais si heureux d’être leur dupe !… Enfin, croiriez-vous que depuis que je possède ce maudit lorgnon, de tous ceux que j’ai aperçus, parens, amis, connaissances, je n’ai rencontré qu’une personne qui m’aimât réellement… une seule ?…

LE COMTE, vivement.

Tu en as rencontré une ! et tu te plains des hommes et de la Providence, ingrat que tu es !… J’ai cherché pendant quarante ans… et j’attends encore.

ALCÉE, avec joie.

Est-il possible ! Et moi dès le premier jour ! C’est cette petite Mina… ma sœur de lait, qui tout à l’heure, me voyant de retour, cherchait à cacher sa joie et sa tendresse. Mais je lisais dans son cœur ; je voyais quel amour naïf, pur, désintéressé. Ah ! quel malheur que je sois noble ! que je sois baron, et qu’elle ne soit