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piquillo alliaga.

promptitude extraordinaire ; il étendit à terre, d’un coup de poing, celui qui venait de le frapper, et voyant un de ses compagnons baisser sa hallebarde pour le percer de part en part, il détourna de la main gauche l’arme meurtrière, tira de sa main droite un pistolet, renversa à ses pieds le soldat du saint-office, puis, se retournant vers la foule il s’écria à haute voix :

— Aux armes ! mes amis ! on tire sur les bourgeois de Pampelune !

À ce cri, répondit un cri général. Excepté les familiers du saint-office, personne n’avait vu le coup de feu, tout le monde l’avait entendu ainsi que l’exclamation de Pedralvi, car c’était lui.

— C’est peu d’en vouloir à nos priviléges, continua-t-il, on en veut à nos jours. Défendons-les ! défendons nos droits ! Vivent les fueros !

Vivent les fueros ! répéta la multitude, comme si elle n’eût attendu que ce moment pour laisser éclater son opinion.

Vivent les fueros ! cria de toutes ses forces Gongarello, qui était resté sur sa borne et qui mêla sa voix retentissante à celle de ses voisins.

Ribeira ne répondit à ces vociférations qu’en saisissant lui-même l’étendard de Saint-Dominique.

— En avant, dit-il, le saint lui-même saura bien nous faire un passage.

En effet, à mesure que la bannière s’avançait, le peuple se reculait devant elle en criant Vivent les fueros ! mais sans autre manifestation plus hostile.

Tout à coup plusieurs bandes de bourgeois d’assez mauvaise mine se précipitèrent résolument au milieu du cortége en criant :

À bas l’inquisition !

Le peuple répéta comme eux :

À bas l’inquisition !

Mort aux inquisiteurs ! répondit Pedralvi.

Et un hurlement épouvantable s’étendit au loin sur toute la ligne que tenait la procession :

À nous les prisonniers ! enlevons les prisonniers ! Justice ! justice ! faisons-nous justice nous-mêmes !

En un instant le peuple, se ruant sur le cortége, l’avait rompu et dispersé en vingt endroits. Les alguazils, les familiers du saint-office, effrayés, poursuivis, se sauvaient dans toutes les directions ; quelques-uns par dévouement, d’autres, perdant la tête et ne sachant où se réfugier, avaient entouré le grand inquisiteur qui, furieux, lançait sur la multitude l’excommunication. Foudre inutile qui se perdait dans les airs et dans le tumulte.

Alors Ribeira, cédant à sa colère, à sa haine, à toutes les passions brûlantes qu’excitait en lui l’orgueil humilié, ordonna aux hallebardiers qui l’entouraient de se frayer un passage, n’importe à quel prix.

Frappez ! frappez ! criait-il. Mort aux hérétiques, quels qu’ils soient !

Dans ce tumulte, des femmes et des enfants furent blessés, et le prélat répétait :

Frappez !

— Sois donc obéi, murmura en lui-même Pedralvi, qui venait de se glisser dans la foule, et qui, s’approchant du grand inquisiteur, lui dit :

Au nom de nos frères dépouillés et proscrits, je t’apporte ce que tu leur as laissé : la vengeance !

Et comme un homme qui acquitte un vœu, il frappa le prélat en s’écriant :

— Et de deux ! mes frères ! encore un inquisiteur que je vous envoie !

Le prélat tomba, et avec lui l’étendard de Saint-Dominique. À ce dernier coup la déroute de l’inquisition fut complète.

Mais le danger n’était plus là. Alliaga l’avait déjà compris, et depuis longtemps il s’était élancé vers l’extrémité du cortége, pour courir au secours d’Yézid et d’Aïxa.

Le mouvement du peuple, préparé et secondé par les compagnons de Juan-Baptista, avait été si prompt et si terrible, que les piques, les hallebardes et les pertuisanes des familiers du saint-office n’avaient pu l’arrêter un seul instant. Les milices de l’inquisition avaient été dispersées, et plusieurs cavaliers qui, depuis le moment où le cortége était sorti de l’inquisition, n’avaient pas quitté des yeux les deux condamnés, les arrachèrent des mains de leurs gardiens et les entraînèrent.

— Venez, venez, mes amis, suivez-moi, disait l’un d’eux.

C’était la voix de Fernand d’Albayda. Mais le fatal costume dont les prisonniers étaient revêtus était malheureusement trop visible pour ne pas être aperçu par la foule qui, les désignant du doigt, s’attachait à leur poursuite en disant :

— Nous les tenons ! ils sont à nous ! À nous d’en faire justice ! Vivent les fueros !

Fernand et ses amis, qui avaient rebroussé chemin, se trouvaient alors près de la place de l’Inquisition, et comme ils la traversaient, un autre flot du peuple leur ferma le passage. Ils furent bien forcés de s’arrêter. Il y avait en face le palais du saint-office une espèce d’échoppe occupée par un écrivain public et formant un angle. C’était le seul retranchement qui s’offrit à leurs yeux. Ils placèrent les deux prisonniers dans cet angle, se mirent devant eux et tirèrent leurs épées.

Ce n’était plus contre l’inquisition, c’était contre un ennemi bien plus redoutable qu’il fallait défendre Yézid et Aïxa, c’était contre le peuple déchainé, furieux, qui de tous les points de la place accourait enivré de son triomphe.

— Au gibet ! au gibet ! les Mauresques ! les hérétiques au gibet ! criait-on de toutes parts. Élevons la potence en face le palais des inquisiteurs, pour leur apprendre à respecter nos droits.

Ils s’arrêtèrent cependant en voyant Fernand d’Albayda l’épée à la main ainsi que quelques-uns de ses officiers, au nombre desquels était Fidalgo d’Estremos. Ceux-ci portaient, non pas l’habit militaire, mais le costume de ville. Ce n’était pas la robe de moine, ce n’étaient pas des ennemis, le peuple leur cria :

— Retirez-vous, seigneurs cavaliers. Place à la justice du peuple !

— Nous n’abandonnerons point des malheureux, répondit Fernand ; vous êtes vainqueurs de l’inquisition, cela doit vous suffire. Laissez-nous le passage