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piquillo alliaga.

ceux de la Navarre il n’y aurait pas aussi quelque article qui leur permit de ne pas payer d’impôt.

Ils n’y trouvèrent pas cette clause, que leurs ancêtres avaient négligé de faire insérer. Il n’y en avait que deux principales. L’une leur donnait, comme nous l’avons déjà vu, le droit de se garder et d’empêcher qu’aucun soldat ne pénétrât dans leur ville.

L’autre leur conférait le droit de se juger eux-mêmes par leurs propres tribunaux, et de connaître seuls des crimes ou délits commis dans leur ville.

Alliaga, qui, au sujet de l’affaire de Guernica, venait d’étudier aussi les fueros de la Navarre, vit dans cette dernière clause le moyen de salut qu’il cherchait, et se hâta de l’exploiter avec habileté.

Dès le soir même, Pedralvi et quelques amis dévoués, habillés en bons bourgeois de Pampelune, se répandaient dans tous les groupes, parlaient des fueros du pays et de leur importance, démontraient, par l’exemple des provinces basques, combien il était essentiel de les défendre et de ne pas y laisser porter la moindre atteinte.

— Dans ce moment, par exemple, s’écriaient-ils, Dieu nous préserve d’oser élever la voix contre le saint et respectable Ribeira, notre grand inquisiteur ; mais enfin, d’après nos fueros, ce ne serait pas à lui et à l’inquisition, mais à nous seuls et à nos tribunaux, qu’il appartiendrait de juger la duchesse de Santarem.

— C’est vrai, répondirent plusieurs autres bourgeois, nous n’y avions pas pensé.

— C’est cependant grave… c’est un point capital.

— Très-capital ! répondit la foule.

— Si nous permettons aujourd’hui un empiétement, quelque léger qu’il soit, on s’en permettra demain un autre plus important.

— C’est vrai ! d’Uzède en est bien capable.

— Et si j’étais de vous, ajouta Pedralvi, j’y prendrais garde.

— Vous avez raison, il faudrait aviser.

— Faire une remontrance respectueuse au roi et surtout à l’inquisition.

— C’est une bonne idée !

Et cette bonne idée, fermentant dans toutes les têtes, fut, le soir même, le sujet de toutes les conversations, dans les boutiques, hôtelleries et lieux d’assemblée de la bonne ville de Pampelune.

Le lendemain, une réunion de notables demanda audience au roi, qui s’empressa de l’accorder et reçut la députation de la manière la plus gracieuse.

Ravis de cet accueil, les bourgeois exposèrent avec confiance à Sa Majesté leurs justes griefs et leurs réclamations.

Le roi répondit que sa conduite passée avait dû prouver à quel point il respectait les fueros de la Navarre ; qu’il veillerait toujours, autant que les Navarrois eux-mêmes, à la conservation de leurs précieux priviléges ; que dans la présente question, il était complètement de l’avis de ses fidèles sujets, les bourgeois de Pampelune ; mais que l’inquisition étant saisie de l’affaire, son autorité royale ne pouvait intervenir dans les choses de l’Église ; que, du reste, don Ribeira était un saint homme et un homme juste et qu’il s’empresserait, sans aucun doute, de faire droit à des réclamations aussi légitimes.

Les députés du peuple crièrent Vive le roi ! et quittèrent son palais pour se rendre à celui de l’inquisiteur.

Don Ribeira était en prières, et les fit attendre près d’une heure.

Enfin on les introduisit, et après avoir écouté leur harangue avec un sang-froid glacial, le grand inquisiteur répondit, comme Alliaga s’y attendait, et avec son entêtement ordinaire, que le saint-office était saisi de l’affaire, qu’il ne s’en dessaisirait pas, et qu’il ne ferait point à des bourgeois une concession qu’il avait refusée au roi lui-même.

Les députés crurent que le roi avait déjà fait une tentative en leur faveur, et bénirent en eux-mêmes ce roi jusque-là si calomnié.

Le chef de la députation voulut répliquer à Son Excellence, mais celui-ci répondit avec hauteur :

— L’Église ne discute pas, elle commande, et chacun doit obéir.

— Mais cependant, monseigneur, les droits du peuple…

— Doivent se taire devant ceux de l’Église.

Et le pieux Ribeira, l’apôtre de la foi, l’élu du ciel, le saint de l’Espagne, tourna le dos à la bourgeoisie de Pampelune, qui se retira fort mécontente.

Quelques heures après, ces nouvelles s’étaient déjà répandues dans toute la ville, chacun connaissait la gracieuse réception de Sa Majesté et la réponse fière et hautaine de l’archevêque.

Le soir, Son Excellence traversa la promenade de la Taconnera au milieu du plus profond silence.

La voiture de Sa Majesté fut accueillie tout le long de son passage par les cris chaleureux et nombreux de Vive le roi !

— Bien, se dit en lui-même Alliaga, voici déjà les bourgeois de Pampelune qui deviennent royalistes.


LXXXIV.

la popularité.

Le lendemain, l’archevêque devait prêcher, et à peine quelques rares auditeurs, quelques-unes de ses pénitentes dévouées, assistèrent à cette solennité, qui, d’ordinaire, attirait un si grand concours de fidèles. Ribeira, habitué à la foule et aux murmures approbatifs, sentit un vif dépit en contemplant du haut de sa chaire cette enceinte presque déserte, cette église silencieuse et veuve de ses admirateurs.

Les blessures les plus cruelles sont celles de l’amour-propre, et l’orgueil irascible du prélat lui conseilla une prompte vengeance. Comme pour jeter un défi à tous ses adversaires, il redoubla de fermeté, ou plutôt d’entêtement ; il entama hardiment le procès et en pressa la conclusion. À cette nouvelle, le mécontentement redoubla et de sourds murmures éclatèrent.

On n’osait encore se prononcer ouvertement ; le respect qu’on avait eu si longtemps pour Ribeiva arrêtait l’indignation prête à éclater ; mais il s’agissait, après tout, des fueros de la Navarre, de leurs droits les plus