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piquillo alliaga.

— Tu m’attendais, ma sœur ! tu m’appelais ? lui dit-il ; me voici.

Et sans attendre sa réponse, il l’avait saisie et l’emportait, au moment où un cri frappait son oreille.

— Fernand ! Fernand !.. s’était écriée Carmen.

Le jeune officier, gravissant d’un autre côté, comme à l’assaut, venait d’escalader la cellule embrasée et recevait dans ses bras sa cousine tremblante de terreur et de joie. Il descendit avec elle à reculons, par où il était monté, la couvrant de son corps et la protégeant contre la pluie de feu qui redoublait.

Pendant ce temps, Alliaga s’était de nouveau hasardé sur le pont brûlant qu’il avait déjà traversés Cette fois il tremblait, car il portait Aïxa, et sous ses pas était un abime, un volcan ! mais à ses horribles angoisses se mêlait un sentiment indéfinissable de bonheur : il serrait contre son cœur cette sœur bien-aimée, et il était sûr, s’il ne parvenait pas à la sauver, de périr avec elle.

Dieu, sans doute, veillait sur eux, car à peine avait-il fait quelques pas dans la cour, que le dernier étage du bâtiment s’abima dans les flammes et la cellule de l’abbesse n’offrait plus qu’un morceau de décombres fumants.

C’était tout ce qui restait du couvent des Annonciades.

À l’aspect du danger auquel Aïxä et Carmen venaient d’échapper, et comme s’il n’avait plus besoin maintenant de l’énergie qui l’avait soutenu jusqu’alors, Alliaga sentit ses forces l’abandonner et ses genoux fléchir.

— Dieu soit béni, murmura-t-il, je puis mourir à présent !

Quelques instants auparavant, le grand inquisiteur Ribeira était arrivé sur le lieu du désastre, donnant sa bénédiction à tout le monde. Il avait entonné le Libera nos Domine, et la multitude ne douta pas que la présence du prélat et surtout ses prières ne fussent la cause immédiate du salut miraculeux qui venait de s’opérer.

Le prélat se retourna vers les principaux officiers et vers les familiers de l’inquisition qui l’entouraient, et, leur montrant Alliaga, il leur dit froidement :

— Donnez des secours à notre frère. Quant à cette jeune fille (il désignait la duchesse de Santarem), conduisez-la dans le palais de l’inquisition ; ce n’est pas aujourd’hui que nous pouvons décider de son sort ; mais demain, nous prierons l’Éternel, pour qu’il nous guide et nous inspire ce que nous devons faire à son égard.

En ce moment arrivèrent les gens qu’on avait chargés de puiser l’eau dans l’Arga. La nuit était avancée, le couvent entièrement brûlé ; il n’y avait plus rien à voir, et la multitude satisfaite se retira en criant :

— Vive monseigneur Ribeira ! vive notre saint inquisiteur !


LXXXIII.

les fueros.

Le lendemain, la capitale de la Navarre était dans la consternation. Le couvent des Annonciades, un des plus beaux monuments de la ville, avait été détruit de fond en comble ; plusieurs maisons avaient souffert de l’incendie ; plusieurs familles des plus distinguées comptaient des morts ou des blessés, et, comme cela arrive d’ordinaire, l’indignation publique accusait les Mauresques d’être la cause d’un événement dont ils étaient les victimes.

Le bruit courait que la comtesse d’Altamira, qui habitait le couvent près de sa nièce Carmen, avait péri dans l’incendie ; et tout portait à le croire, car le lendemain elle ne reparut pas :

Le fait est que là comtesse, ayant appris de M. de Latorre que Juan-Baptista avait été arrêté par Piquillo, redoutait pour elle les aveux du capitaine et la vengeance d’Alliaga. Il lui sembla alors prudent d’attendre les événements et de se laisser passer pour morte tant que durerait le danger, quitte à revivre dès qu’elle y trouverait avantage.

En attendant, sa perte était un nouveau crime que l’on imputait aux Maures ; les hautes classes auxquelles elle appartenait se joignirent aux bourgeois et à la populace pour approuver les mesures rigoureuses employées contre des hérétiques qui étaient décidément les ennemis de l’Espagne. La haine contre eux devint si vive et si générale que bien des gens se glorifièrent hautement et comme d’une sainte action d’avoir contribué aux événements de la veille. Mais cette manifestation leur porta malheur, et tous ceux qui avaient ainsi publié leurs exploits se hâtèrent de les démentir et de s’en défendre. Chaque soir, en effet, quelques bourgeois tombaient sous une main inconnue, et le poignard qui les frappait portait d’ordinaire un papier avec cette inscription :

de la part des maures.

Ces actes, d’une vengeance imprudente, achevèrent d’exaspérer la population de Pampelune, qu’il fallait au contraire tâcher d’apaiser, car elle n’était que trop disposée à faire cause commune avec le grand inquisiteur. Aussi, ce dernier, fort de l’opinion publique qui se prononçait pour lui, crut pouvoir tout oser, et son zèle ainsi que son audace ne connurent plus de bornes.

Le roi, que ces événements avaient profondément affligé, les regardait comme un double malheur en ce qu’ils ne lui permettaient pas de voir, dès le lendemain, comme il l’avait espéré, la duchesse de Santarem, prisonnière de l’inquisition. Il se flattait bien, ainsi que Piquillo, que cette détention n’était que pour la forme et ne durerait qu’une journée tout au plus ; mais que devint-il quand il apprit que le grand inquisiteur n’avait pas craint de dénoncer Yézid et Aïxa au tribunal du saint-office, et qu’il les accusait, l’un d’a-