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piquillo alliaga.

point justiciable du tribunal de l’inquisition ; c’est à Sa Majesté et à ses conseillers à prononcer sur sa conduite, et il n’a agi, je dois vous le dire, qu’en vertu d’ordres supérieurs. Veuillez donc avoir pour agréable de le faire mettre en liberté sur-le-champ et au reçu de la présente. »

Alliaga fit porter à l’instant-même cet ordre, et se rendit près du roi pour lui en rendre compte. Le roi l’écouta à peine : une seule idée le préoccupait, un seul espoir faisait battre son cœur : il était dans la même ville que la duchesse de Santarem. Plusieurs fois, le matin, au moment de son entrée dans la grande rue, il avait mis la tête à la portière de son carrosse pour voir s’il n’apercevrait pas de loin le clocher du couvent des Annonciades. À peine arrivé au palais du vice-roi, qui avait été préparé pour lui, il voulait sortir et visiter la ville, en dirigeant sa promenade vers la montagne Saint-Christophe, où étaient situés la citadelle et le couvent des Annonciades.

Alliaga employait tous ses efforts pour calmer son souverain, pour le rappeler à la raison et lui faire comprendre qu’une telle précipitation paraîtrait au moins fort étrange, et pourrait même compromettre le succès de ses projets. Le roi répondait qu’il voulait voir la duchesse de Santarem, qu’il se rendrait près d’elle incognito et déguisé, s’il le fallait, comme au jour de leur première entrevue, mais qu’il lui tardait de connaître son sort.

Tout ce qu’on put obtenir de lui fut qu’il attendrait jusqu’au lendemain ; à la condition, cependant, que, le soir même, Alliaga se rendrait près de sa sœur, qu’il lui parlerait de la proposition du roi, et viendrait rendre réponse à son souverain de la manière dont la duchesse aurait accueilli l’idée du baptême, et surtout celle du mariage secret.

Alliaga, enchanté de revoir Aïxa, n’importe, hélas ! à quel prix, avait accepté toutes ces conditions, et le roi, retiré avec lui dans son oratoire, lui répétait pour la vingtième fois les mêmes recommandations, l’engageant à partir, lorsque, au moment où Piquillo allait prendre congé de Sa Majesté, une rumeur sourde et prolongée se fit entendre au loin.

La nuit était venue, et au milieu des ténèbres on distinguait une lueur rougeâtre qui éclairait certaines parties de la ville ; cette lueur partait d’un point élevé et semblait venir de la montagne Saint-Christophe. Au même moment, le bruit d’abord vague et confus devint plus fort, plus distinct, et enfin plus effrayant ; c’étaient des cris d’effroi et des cris menaçants. Tout à coup une cloche lointaine se fit entendre, à laquelle répondirent toutes les cloches de la ville, puis le tocsin d’alarme.

Le roi sonna et appela à la fois.

— Qu’est-ce ? demanda-t-il.

— Sire, dit un des valets de chambre, c’est le feu qui vient de prendre…

— Eh ! non, dit un autre, c’est le feu qu’on vient de mettre…

— Où donc ?

— Au couvent des Annonciades.

Le roi poussa un cri d’effroi, et incapable de réprimer son émotion et sa terreur, il se laissa tomber dans son fauteuil, puis, saisi d’un tremblement nerveux, il se tourna du côté d’Alliaga pour l’interroger, le consulter, ou plutôt pour être rassuré par lui ; mais Alliaga n’était plus là. Au premier mot qu’il avait entendu ; il s’était précipité hors de l’appartement et courait au feu.

Carmen, retirée dans sa cellule, causait avec sa sœur de l’arrivée du roi à Pampelune.

— Piquillo est-il avec lui ? demanda Aïxa d’un air inquiet.

— Certainement. Il était dans le carrosse du roi, et ne le quitte pas.

— Nous allons donc le voir ?

— Oui, mais on annonce aussi une autre nouvelle, et je crains, ajouta Carmen, qu’elle ne te cause trop d’émotion.

En disant ces mots, elle était elle-même si émue, qu’on l’entendait à peine.

— Qu’est-ce donc ? demanda Aïxa, en commençant à s’effrayer.

— Eh bien ! on prétend, mais on se trompe sans doute, que Fernand d’Albayda a été conduit dans les prisons de l’inquisition.

— Lui ! s’écria Aïxa en tremblant ; de quoi l’accuse-t-on ?

— D’avoir défendu et protégé les Maures qu’il devait combattre.

— Et tu crois, demanda Aïxa avec angoisse, qu’il sera condamné ?

— Pas par toi, du moins, dit Carmen avec un regard plein de douceur, en tendant la main à sa sœur, qu’elle voyait pâlir.

En ce moment un murmure lointain se fit entendre autour des murs du couvent, et peu à peu il devint si fort, que les deux jeunes filles cessèrent leur conversation et écoutèrent attentivement.

Le couvent des Annonciades était situé sur la montagne Saint-Christophe, qui, elle-même, domine toute la ville de Pampelune, et Juanita entra effrayée, annonçant qu’on voyait, de la fenêtre de sa cellule, accourir une grande multitude de peuple qui se dirigeait vers la grille du couvent. On distinguait en effet les pas tumultueux de la foule ; jusque-là silencieuse, elle arriva devant la grille principale et on entendit alors ces cris :

— Ouvrez ! ouvrez !

— N’ouvrez pas ! je le défends ! répondit Carmen à plusieurs de ses religieuses qui venaient prendre ses ordres ; sachons d’abord ce qu’ils nous demandent.

— Je vais vous le dire, s’écria la comtessa d’Altamira en se précipitant dans la cellule de sa nièce. C’est la populace de Pampelune qui, irritée contre vous, demande qu’on lui livre les hérétiques auxquelles vous avez imprudemment donné asile, toutes les femmes maures renfermées dans ce couvent.

— Jamais ! répondit Carmen en se plaçant devant sa sœur et devant Juanita.

— Je conçois votre générosité, reprit la comtesse, mais songez que le peuple est furieux ; que dans sa colère il n’épargne rien, et que si on ne lui donne pas satisfaction, il est capable de tout mettre à feu et à sang.