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piquillo alliaga.

règne. Sous le duc de Lerma, nous ne faisions jamais que le voyage de Valladolid, qui m’ennuyait plus que je ne peux vous dire. Il faut qu’un roi se montre à ses sujets et voie tout par lui-même, n’est-il pas vrai ? ajouta-t-il en regardant Alliaga.

Et celui-ci, qui avait autant d’envie que le roi de se trouver enfin auprès d’Aïxa, répondit affirmativement.

En conséquence, le voyage du roi fut décidé, et tout Madrid apprit le lendemain que le roi partirait dans trois jours pour visiter l’Aragon, la Navarre et les provinces basques.


LXXXI.

les captifs.

Aïxa cependant était heureusement débarquée à Barcelone. Don Lopez avait transmis au gouverneur de cette ville les ordres du vice-roi de Valence ou plutôt ceux du roi lui-même, et toutes les précautions avaient été prises pour que la duchesse de Santarem et sa suite traversassent sans danger la Catalogne et la Navarre.

La jeune abbesse du couvent des Annonciades, Carmen, dont l’année de noviciat était expirée, allait prochainement prononcer ses vœux. L’infortunée avait renoncé au monde, aux plaisirs, au bonheur ; elle se regardait comme morte, et se sentit renaître à la vue d’Aïxa.

Cette amie, cette sœur si chère la rappelait à la vie ; il lui semblait qu’elle sortait un instant de la tombe pour la revoir, l’embrasser et l’aimer encore. Les lieux mêmes où elles se retrouvaient ajoutaient encore à leur émotion. C’est là que s’était écoulée leur enfance, c’est là qu’avaient commencé leur amitié, leur joie, leurs plaisirs, et peut-être aussi la peine dont chacune d’elles se mourait. Non loin de ce couvent était le palais de don Juan d’Aguilar ; non loin de là aussi était sa tombe, et voyant Aïxa couverte de longs voiles noirs, Carmen l’interrogeait d’un œil inquiet ; les larmes d’Aïxa lui répondirent : elle aussi avait perdu son père, il avait été massacré dans ses bras.

Ah ! que d’événements s’étaient écoulés depuis un an ! que de malheurs, que de tourments elles avaient à se raconter ! Carmen n’en avait qu’un, toujours le même… Mais elle ne pouvait en parler ; elle expirait lentement, sans se plaindre, et le sourire sur les lèvres. Aïxa du moins pouvait pleurer, et Carmen la trouvait bien heureuse.

Juanita et les compagnes de la duchesse de Santarem avaient reçu au couvent des Annonciades l’hospitalité la plus douce et les soins les plus attentifs. Elles auraient pu se croire encore au sein de leurs familles, car la jeune abbesse les traitait comme ses sœurs, et son exemple était suivi par toute la communauté, dont Carmen était l’idole.

Aïxa habitait la cellule de sa sœur. Elles ne se quittaient pas. Carmen avait tant de choses à lui demander ! Elle l’interrogeait, même sur Fernand d’Albayda, et elle s’était presque persuadée qu’il lui devenait indifférent, depuis qu’elle était parvenue à prononcer son nom sans trembler et sans rougir.

Aïxa lui avait avoué alors à voix basse et comme une nouvelle qui allait la surprendre, les idées de mariage que don Fernand avait formées… dans le lointain, dans l’avenir. Carmen, hélas ! ne les connaissait que trop. Cette union, elle s’en doutait, elle s’y attendait, elle la désirait même, elle le croyait du moins ! Et cependant, quand Aïxa, lui en parla, elle manqua de s’évanouir, et pour la première fois peut-être, elle bénit son habit de novice et le large capuchon blanc qui cachait sa pâleur.

Au milieu de ces épanchements, de ces conversations cruelles et parfois encore si douces, quelques jours de repos s’étaient écoulés pour les deux amies, qui depuis longtemps n’avaient joui d’un pareil bonheur. Il ne devait pas durer, et leur intimité fut troublée une arrivée bien inattendue.

C’était celle de la comtesse d’Altamira.

Trompée dans ses projets ambitieux, abandonnée de ses amis politiques, exilée à soixante lieues de Madrid, sa cause paraissait désormais perdue ; elle seule ne la regardait pas comme telle ; mais avant de renouer de nouvelles intrigues et de se créer de nouveaux amis, quitte encore à être trahie par eux ou à les trahir à son tour, la comtesse cherchait où elle pourrait s’établir et quel asile lui restait. Elle avait voulu d’abord se rendre à son château de Douero, aux environs de Valladolid ; mais Valladolid n’était qu’à quarante lieues de la capitale, et d’ailleurs on ne la laisserait pas aussi près de la cour, qui habitait si souvent cette résidence, elle pensa alors à sa nièce Carmen, abbesse du couvent des Annonciades, à Pampelune ; elle se trouverait là en famille ; c’était une retraite tranquille, honorable, où on ne songerait pas à l’inquiéter. Pampelune était à quatre-vingts lieues de Madrid, et ce qui valait mieux encore, Pampelune était près de la France, et c’était du côté de la maréchale d’Ancre, Éléonore Galigaï, favorite de Marie de Médicis, que la comtesse espérait tourner ses nouvelles batteries.

Elle arrivait donc chez sa nièce, les bras ouverts, et fut toute stupéfaite d’y rencontrer Aïxa, son ennemie mortelle et la cause probable de sa disgrâce. Son premier mouvement avait été du dépit ; le second fut presque du contentement. On n’a rien à faire dans l’exil, et chercher à perdre une rivale qu’on déteste, c’est toujours un passe-temps ; la comtesse se promit de se livrer tout entière à cette occupation.

Pendant ce temps, Sa Majesté le roi d’Espagne s’était mis en route. L’étiquette forçait la cour à voyager à petites journées, au grand regret du monarque, qui trouvait la distance bien longue de Madrid à Pampelune.

Dans son impatience d’arriver, il regardait comme un malheur véritable tout ce qui retardait sa marche ; jamais il n’avait reçu avec un sourire plus contrarié les clés des villes, les hommages des corporations et les corbeilles de fleurs des jeunes filles vêtues de blanc ; jamais il n’avait écouté de plus mauvaise grâce les discours des gouverneurs, alcades ou corrégidors.

Il ne se dédommageait de ses ennuis qu’en causant