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piquillo alliaga.

des enfants, et surtout des hommes avec des mousquets.

Cette dernière assertion fut confirmée à l’instant même d’une manière trop évidente, car plusieurs coups de feu partis d’en bas atteignirent les soldats, qui roulèrent dans l’abime en poussant un effroyable cri. Leurs deux autres compagnons se hâtèrent de remonter.

Plus de doute, la grotte qui était là sous leurs pieds servait de refuge aux Maures leurs ennemis. Mais comment pénétrer dans ce lieu souterrain ? Ce ne pouvait être par l’ouverture que le hasard venait de faire découvrir ; il devait donc en exister une autre, et le capitaine Diégo laissa une vingtaine de soldats qu’il chargea d’explorer les environs, et continua sa route avec le reste de ses gens pour mettre fin à l’expédition dont son général l’avait chargé.

À une demi-heure de marche, et toujours en s’élevant vers la région des neiges, à une espèce de premier bassin où tombait le torrent, ils aperçurent distinctement au-dessous d’eux le camp des Maures.

Le général espagnol, ainsi qu’on le voit, ne s’était trompé dans aucune de ses conjectures ; mais impossible d’aller chercher et de combattre l’ennemi dans une position pareille. Il n’y avait d’autre moyen de le réduire qu’en le privant de toutes ressources, à commencer par l’eau qui l’approvisionnait[1].

Le torrent, comme nous l’avons dit, se précipitait d’abord dans un vaste bassin qu’il s’était creusé lui-même au milieu des rochers ; de là, il s’échappait par une large échancrure et roulait vers la vallée où campaient les Maures.

Il s’agissait d’abord de lui donner une issue du côté opposé et de le diriger de là vers un autre endroit de la montagne.

Le capitaine Diégo ordonna à l’instant à ses soldats de se mettre à l’œuvre. Les pioches et les hoyaux qu’ils avaient apportés remplacèrent dans leurs mains les mousquets et les épées, et ils travaillèrent toute la journée avec vigueur et courage. Le soir, ils furent rejoints par ceux de leurs camarades qu’on avait envoyés la veille à la découverte.

Ceux-ci déclarèrent qu’ils avaient exploré vainement l’extérieur de la grotte, depuis le haut jusqu’en bas, qu’ils n’avaient aperçu et ne pouvaient même soupçonner aucune entrée, aucune issue, autre que celle qui s’était d’abord offerte à eux, laquelle était impraticable ; et cependant, d’après l’étendue probable de cette caverne, plusieurs milliers de Maures avaient dû s’y réfugier ; c’était là sans doute qu’ils avaient caché leurs femmes, leurs enfants, leurs provisions, et à coup sûr leurs trésors.

À ces derniers mots, tous les soldats frémirent d’impatience et de curiosité, et Diégo, leur chef, de rage. Tenir si près de soi ses ennemis et sa vengeance, et les laisser échapper ! retourner près de son général et de ses compagnons sans avoir effacé par une revanche éclatante l’affront de sa première défaite ! Il ne pouvait s’y résoudre. Le souvenir de sa honte passée ranimait dans son cœur une fureur nouvelle, et cette fureur lui inspira une idée horrible, atroce, diabolique, qui ne devait que trop bien réussir.

Il commanda à ses soldats de redoubler d’efforts et de creuser au torrent un nouveau lit large et profond, en le dirigeant au milieu des rochers vers l’ouverture qu’ils avaient découverte, travail d’autant plus facile, que la grotte était placée à une centaine de pieds au-dessous du premier bassin où tombait la cascade.

Quand cette espèce de canal fut achevé, ils remontèrent vers la première chute, rompirent les digues qu’ils avaient élevées, et le torrent, abandonnant son ancienne direction, se précipita vers le nouveau lit qu’on venait de lui préparer et qui était plus bas que l’autre. Ses eaux bouillonnantes s’élancèrent en grondant et couvrirent de leur fracas les hurlements de vengeance et de joie que poussèrent en même temps Diégo et ses soldats.

— Meurent ainsi tous les infidèles ! s’écria le capitaine ; meurt avec eux le souvenir de mon affront !

Et se tournant vers ses compagnons :

— Nous sommes vengés, dit-il, et notre mission est remplie.

Il descendit alors la montagne, le cœur battant de joie, et alla rendre compte de son expédition à son général, qui occupait alors l’ancien camp abandonné par Yézid, et avait établi ses tentes presque au-dessous des rochers mèmes que Diégo venait de quitter.

Le torrent cependant, s’engouffrant dans les entrailles de la terre, venait d’envahir la retraite souterraine dans laquelle les Maures étaient comme prisonniers, et rien ne peut exprimer leur surprise et leur effroi quand cette masse d’eau énorme, terrible, incessante, commença à tomber par la vaste ouverture qui, naguère encore, leur donnait la lumière, et qui, dans ce moment, leur apportait une mort horrible et inévitable.

La première pensée de Pedralvi fut de donner un écoulement à l’inondation, qui menaçait de les engloutir, et au risque de tomber entre les mains de don Augustin de Mexia, il cria à ses compagnons de l’aider à dégager l’entrée intérieure, celle par laquelle ils avaient pénétré dans la caverne.

Vaine précaution, inutiles efforts.

La grotte avait été presque murée à l’extérieur par les soins d’Yézid et de ses soldats.

— Plus d’espoir ! s’écria-t-on.

Pedralvi en avait toujours, et quoiqu’il fût déjà accablé de fatigue, quoique ses mains fussent en sang, il s’écria :

— Du fer ! du fer ! pour renverser ces derniers remparts et pour frapper les ennemis qui voudraient s’opposer à notre passage !

Ranimés par son énergie et surtout par son exemple, ses compagnons se remirent à l’ouvrage ; mais ils furent bientôt forcés de l’interrompre. L’issue qu’ils voulaient dégager était placée dans l’endroit le plus bas du souterrain. C’est là que les eaux se dirigèrent naturel-

  1. Don Agustin de Mexia, officier célèbre par son expérience et par la haute réputation qu’il s’était acquise dans les guerres de Flandres, fut envoyé, avec l’élite des troupes réglées, contre les Maures réfugiés dans la montagne, au nombre de près de trente mille hommes, femmes et enfants, et qui avaient juré de se défendre jusqu’à la dernière extrémité. Le général espagnol les réduisit par le manque d’eau, dont il les avait privés.
    (Watson, t. ii, liv. ii, p. 84 et 85.)