Page:Scribe - Piquillo Alliaga, ou Les Maures sous Philippe III, 1857.djvu/339

Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
piquillo alliaga.

— Je le sais, je le sais, interrompit vivement Alliaga. Et qu’est-il arrivé depuis ?

— On a tout tenté pour le délivrer, et la semaine dernière nous avons entendu d’ici le canon et la mousqueterie, qui, réunis aux échos de la montagne, faisaient un tapage à empêcher nos voyageurs de dormir. Mais, rassurez-vous, seigneur, se hâta d’ajouter l’hôtelier en s’apercevant de son imprudence, que cela ne vous empêche pas de vous arrêter chez moi ; depuis quelques jours on ne se bat plus, et Augustin de Mexia et ses troupes sont exténués.

— En vérité ! dit Alliaga avec une expression de joie qu’il se hâta de réprimer.

— Je le tiens d’un brigadier courbatu et fourbu qui s’était laissé tomber sur des pointes de rochers. Il prétend que l’armée ennemie, après leur avoir tué beaucoup de monde a disparu un matin avec le grand inquisiteur au moment où elle allait être cernée et faite prisonnière… disparue totalement.

— Ce n’est pas possible !

— Au point que depuis ce moment, et pour la découvrir, nos soldats parcourent les montagnes dans tous les sens. Ils ont beau chercher les Maures, ils ne peuvent pas les trouver, impossible de savoir par où ils ont passé, et l’on n’aurait plus de leurs nouvelles si de temps en temps, la nuit, quelques coups de mousquets ne venaient atteindre nos gens jusque sous leurs tentes.

Les uns disent que c’est un talisman magique qui les rend invisibles, car les Maures ont toujours été savants dans la magie et la sorcellerie, les autres prétendent que c’est Satan lui-même qui les a enlevés et transportés en enfer. Et je le croirais assez, s’ils n’avaient pas avec eux le grand inquisiteur.

— En avant, muletiers ! s’écria Alliaga sans vouloir en entendre davantage.

Et sa voiture s’éloigna rapidement, laissant maître Mosquito sur le pas de sa porte, le cou tendu et son bonnet de laine à la main.

Notre voyageur se dit en lui-même que Yézid, par quelque marche savante et par la connaissance qu’il avait des sentiers de la montagne, s’était dérobé à la poursuite d’Augustin de Mexia. C’était ce qu’il pouvait désirer de plus favorable ; et un peu rassuré de ce côté, il redoubla de vitesse et n’épargna pas les pourboires aux muletiers, qui, en reconnaissance, n’épargnaient pas les coups de fouet à leurs mules.

Alliaga arriva à Madrid au milieu de la nuit et bien après la fermeture des portes. Aussi trouva-t-il tout naturel que pour les lui ouvrir on lui demandât qui il était ; mais quand il eut répondu frey Alliaga, confesseur de Sa Majesté, l’on s’informa s’il se rendait directement au palais.

— Impossible à une pareille heure, répondit-il.

Il ordonna aux muletiers de le conduire à l’hôtel de Santarem. En route, il s’étonna de cette question ; il en eut bientôt l’explication.

Il dormait depuis quelques heures à peine, mais d’un sommeil lourd et agité, quoiqu’il eût grand besoin de repos après les fatigues de toute espèce d’un si long voyage, lorsque Gongarello entre brusquement dans sa chambre au point du jour.

— Qu’est-ce ? lui dit Alliaga en s’éveillant en sursaut.

— L’hôtel est cerné par des uniformes.

— Des soldats ?

— Non, des uniformes noirs que je reconnais trop bien. Des familiers du saint-office, et c’est moi que l’on menace.

— Ce serait moi plutôt, répondit Alliaga en s’habillant à la hâte. Et il se dit en lui-même : Est-ce qu’avant de se mettre en route et au reçu de la lettre d’Escobar, le grand inquisiteur se serait hâté d’exécuter les conseils que lui donnaient les pères de Jésus, ses nouveaux alliés ? Est-ce qu’il aurait expédié, de Valence, l’ordre de guetter mon arrivée, pour me plonger, sans autre forme de procès, dans les cachots de l’inquisition ? Cela ne se peut ; je ne puis le croire.

Il ne lui fut plus possible de douter, car un instant après la porte de son appartement s’ouvrit avec violence.

Un des principaux officiers du saint tribunal, le seigneur Spinello, créature de Sandoval et ennemi déclaré d’Alliaga, se présenta devant lui, et lui montrant dans la pièce voisine un groupe d’alguazils et de familiers du saint-office, s’écria d’un air de joie et de triomphe :

— Seigneur frey Luis Alliaga, religieux de l’ordre de Saint-Dominique, au nom de Son Excellence le grand inquisiteur Bernard y Royas de Sandoval, je vous arrête !


LXXV.

la guerre dans les montagnes.

Notre intention n’est pas de suivre don Augustin de Mexia dans ses opérations militaires et de décrire dans tous ses détails sa courte et sanglante campagne contre les Maures de l’Albarracin.

Après le désastre complet de Diégo Faxardo et la défaite du brigadier Gomara, il avait compris, en général habile et qui tient à sa renommée, qu’en attaquant ses ennemis dans les fortes positions qu’ils occupaient, la victoire lui coûterait trop cher et qu’un échec minerait sa réputation militaire.

Un triomphe bien plus certain et bien plus facile lui était assuré.

Yézid commandait à une quinzaine de mille hommes, dont le tiers seulement était armé et encore grâce, en grande partie, aux mousquets et aux munitions enlevés à Diégo. Ce qui affaiblissait les insurgés, c’étaient les femmes et les enfants qu’ils avaient emmenés avec eux. Il y en avait près de dix mille à protéger et à défendre, et bien plus encore, à nourrir. La montagne ne produisait rien, et nous avons vu que des colonnes expéditionnaires descendaient de temps en temps dans la plaine pour y chercher des vivres et en ramener des troupeaux.

Augustin de Mexia dressa, d’après ces circonstances, son nouveau plan de campagne. Au lieu d’attaquer de nouveau, il se contenta de repousser ses ennemis sur