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piquillo alliaga.


Viens à mon aide, ô mon Dieu, et conseille-moi.
Le premier prisonnier qu’il aperçut était un beau jeune homme, à la taille élevée, à l’air fier et hautain. Quoique garrotté et à moitié nu, ce n’était pas l’humiliation, mais la colère et le désir de la vengeance qui respiraient sur son front.

Ses traits, du reste, n’étaient pas inconnus à Alliaga ; il se rappela l’avoir vu au Val-Paraiso, chez Delascar d’Albérique, et son cœur s’en émut comme s’il retrouvait quelqu’un de sa maison ou de sa famille.

— N’es-tu pas, lui dit-il avec bonté, Alhamar-Abouhadjad, un des serviteurs favoris d’Yézid ?

Le Maure tressaillit.

— Ne crains rien, frère, lui dit Piquillo à voix basse en lui serrant la main, et compte sur moi.

À ce nom de frère, le Maure regarda le moine avec un étonnement qui redoubla encore lorsque, sur un geste de frey Alliaga, on s’empressa de défaire les cordes qui le tenaient garrotté.

Le confesseur du roi s’avança alors vers les pauvres gens qui étaient assis à terre sous le grand arbre.

— C’est bien, dit Alliaga au chef de la troupe, vous les avez fait asseoir à l’ombre pour les faire reposer.

— Oui, monseigneur, et puis parce que nous allions pendre un des leurs.

— Et pourquoi cela ? demanda vivement Piquillo.

— Parce que c’est une meilleure pratique que les autres. Il avait caché dans son albarda[1] une quarantaine de ducats dont nous nous sommes emparés.

— Et vous allez le pendre pour cela ?

— Sans doute… ce ne sera pas le premier[2].

Piquillo poussa un cri d’indignation et s’avança vers le patient à qui on avait déjà lié les mains derrière le dos ; mais un tremblement subit le saisit lorsqu’il eut jeté les yeux sur lui.

— Est-il possible ! Est-ce bien là Gongarello ?

À ce nom, à cette voix, le pauvre barbier, déjà à moitié mort de terreur, resta immobile de surprise.

  1. Un coussinet semblable à ceux destinés au transport des outres renfermant les vins d’Espagne.
  2. Watson, tom. iii, pag. 474.