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piquillo alliaga.

diner, et que j’ai bu un vin exquis ; ce n’est pas là ce qui m’inquiète… c’est la suite…

Irai-je en Irlande avec vous, mon oncle ?

Tous les traits du capitaine se contractèrent ; il était atterré du sang-froid, et surtout de la gaieté de Gongarello.

— Oui, continua le barbier… c’est la suite qui m’inquiète ! et je vois à votre air, seigneur hôtelier, que vous êtes un gaillard à nous faire payer cher ce repas… c’est tout simple ! c’est votre habitude, et celle de beaucoup de vos confrères… aussi vous trouverez bon que nous nous défendions… je vous préviens d’avance, que moi, je ne me laisse pas faire… je crie quand on m’écorche !

Et il se mit à rire de nouveau, d’un rire auquel le Capitaine trouvait quelque chose de satanique. Aussi, et pour la première fois de sa vie, il se sentait mal à l’aise, et déconcerté ; la sueur coulait de son visage, tout à l’heure pâle, et maintenant verdâtre.

— Ah ! dit le barbier, vous avez une mauvaise mine, seigneur hôtelier, nous vous faisons, sans doute, veiller trop tard, et nous ferons mieux de nous coucher.

— J’y pensais ! dit le capitaine d’un air sombre… Puis, se tournant vers Piquillo, plus mort que vif et que ses jambes soutenaient à peine : Piquillo, va préparer, pour le seigneur Gongarella et sa nièce, la chambre de damas rouge, et tu te hâteras de les y conduire !

Piquillo prit la lanterne sourde du capitaine et sortit ; mais à peine eut-il fait quelques pas dehors qu’il s’arrêta, se tordant les bras de désespoir, ne sachant quel parti prendre. Au prix de ses jours, il eût voulu sauver Juanita ; il y était décidé ! Mais à quel saint avoir recours ? La jeune fille et son oncle, qui ne se doutaient même pas du danger dont ils étaient menacés, n’avaient d’autre défenseur et d’autre gardien qu’un enfant, seul contre tous ces bandits, et surtout contre le terrible capitaine ; et pour se décider, pour trouver un moyen de salut, Piquillo n’avait devant lui que quelques instants !

Rassemblant toutes ses forces, d’une main tenant