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piquillo alliaga.

— Voici sa lettre. Il nous demande pardon de ce qu’il va faire ; mais il sait que nous pensons comme lui, et que nous n’hésiterions pas un instant à sacrifier tout ce que nous avons de plus précieux et de plus cher.

— Il a dit cela ! s’écria Aïxa avec terreur.

— Vois toi-même… Voici ses derniers mots : sauver nos frères, et puis mourir !

Aïxa prit la lettre d’une main tremblante, et pendant qu’elle la lisait :

— Qu’as-tu, ma sœur ? s’écria Yézid en voyant la pâleur mortelle qui couvrit tous ses traits.

— Laisse-moi cette lettre, mon frère.

Elle la serra dans son sein, et dit :

— Tu as raison… nous ne pouvons rester ici… il faut partir ; fais tous tes préparatifs. Dispose pour ce soir une voiture… il doit tarder à mon père de revoir sa fille. Tu la lui ramèneras, Yézid, lui dit-elle froidement.

Yézid allait sortir. Il se retourna et vit Aïxa chanceler ; il revint vivement sur ses pas, et cherchant à la calmer :

— Je t’ai effrayée, ma sœur, lui dit-il, en t’apprenant brusquement toutes ces nouvelles, et en te parlant de malheurs qui, je l’espère, ne se réaliseront pas. Mon père saura les détourner.

— Il ne le pourrait qu’au prix de ses jours ! dit Aïxa.

— Puis, se remettant de son trouble, elle ajouta avec calme :

— J’espère comme toi que nos ennemis reculeront devant l’exil ou le massacre de nos frères. Piquillo vient d’être appelé au palais de l’inquisition : il nous apprendra ce qu’on a décidé, et peut-être ce soir pourras-tu porter à Valence la nouvelle que le roi et son ministre ont renoncé pour jamais à leurs sinistres desseins.

Elle prononça ces derniers mots avec une oppression si visible que Yézid lui dit encore :

— Tu veux me le cacher, sœur, tu souffres !

— Non, je n’ai rien… À quelle heure comptes-tu partir ?

— Ce soir, pour qu’on ne nous voie pas ; ce soir, à onze heures.

— C’est bien… je serai prête.

Et la voiture t’attendra.

— Pas ici… Je ne voudrais plus rentrer dans cet hôtel.

— Et pourquoi ?

— Tu le sauras. Attends-moi près la petite porte du palais, celle qui conduisait aux appartements de la reine… tu sais bien ?

Yézid tressaillit.

— Oui, je la connais, dit-il ; mais pourquoi à cet endroit ?

— Parce qu’il est solitaire… et puis pour d’autres raisons que tu sauras… je te les dirai.

— Pourquoi pas tout de suite ?

— Pourquoi ! reprit-elle en tremblant de tous ses membres ; ne me le demande pas, je t’en conjure. Puis, joignant les mains, elle lui dit : Va-t’en !

Yézid la regarda avec surprise. Mais il respecta son secret, se rappelant qu’autrefois, lui aussi, avait voulu qu’on respectât les siens. Il embrassa sa sœur et sortit.


LIX.

la chambre du roi.

Aïxa restée seule demeura longtemps immobile et anéantie. Elle relut la lettre de son père, et d’un air égaré, elle répéta plusieurs fois ces mots :

« Vous penserez comme moi, mes enfants ; vous n’hésiterez pas à sacrifier ce que vous avez de plus cher et de plus précieux pour la défense de notre religion et le salut de nos frères. Les sauver et mourir, c’est là notre devoir. »

— Je suivrai vos ordres, mon père, murmura-t-elle, vous serez sauvé par moi, et ce soir Yézid vous ramènera votre fille… mais il vous la ramènera morte !

Elle se mit à genoux et pria.

Se sentant alors plus de force, elle se leva, alla prendre le flacon de cristal que Piquillo avait enlevé à la comtesse et qu’elle avait voulu conserver ; elle le regarda quelques instants avec intention comme le seul ami, le seul espoir qui lui restât.

Il y manquait à peine quelques gouttes, et en prenant tout ce qui restait, la mort ne devait pas tarder.

Ne craignant plus alors de survivre à sa honte, et certaine de mourir, elle respira plus librement et reprit courage, mais ce courage manqua de l’abandonner ; quand sa pensée se reporta sur l’avenir qui l’attendait et auquel elle allait renoncer.

Encore quelque temps, et Fernand, qu’elle aimait, pourrait lui offrir son cœur et sa main. Encore quelque temps, et elle allait être à lui, et cet amour, depuis si longtemps caché, elle pourrait l’avouer aux yeux de tous ! Et maintenant il fallait perdre à la fois et ce bonheur et l’amour de Fernand, peut-être même son estime !

Mourir avec son mépris ! Cette idée était au-dessus de ses forces, et elle voulut du moins lui écrire et tout lui apprendre ; mais alors son sacrifice devenait impossible, car Fernand ne souffrirait pas qu’elle s’immolât, même pour son père.

— Non ! se disait-elle, non ! demain seulement il saura toute la vérité. Mais lui qui fut si bon et si dévoué, je ne puis le quitter à jamais sans lui dire un dernier adieu.

Et elle lui écrivit seulement ce mot : « Venez ! »

Quelques instants après, sa porte s’ouvrit, et parut Fernand d’Albayda.

— Est-il possible ! s’écria-t-il avec joie, une lettre de vous ! on me l’apporte, et j’accours.

— Je vous remercie, dit Aïxa avec un doux sourire.

— C’est donc bien vrai… c’est vous qui m’appelez ?

— Oui, Fernand… c’est moi… moi qui désirais vous voir, dit la jeune fille avec émotion.

— Je puis donc vous être utile… vous rendre quelque service… Parlez, commandez ! s’écria Fernand avec chaleur.

— Non, répondit tristement Aïxa, je n’ai rien à vous demander.

— Et que me vouliez-vous donc ?