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piquillo alliaga.

Il recula épouvanté à la fois et de l’apparition et de l’arme qui le menacèrent.

Celui-ci ne se le fit pas dire deux fois. Il prit une bougie et passa dans la pièce voisine, qu’il examina soigneusement et en détail. Aïxa profita de son absence pour faire servir quelques viandes froides, et renvoya les domestiques. Le corrégidor, à qui l’exercice et l’heure avancée de la nuit avaient donné un vif appétit, attendit cependant avec respect la rentrée de M. le duc ; il ne tarda pas à paraître… en pantoufles, en robe de chambre élégante, et le défunt lui-même serait revenu en personne dans ce moment qu’il l’aurait pris pour le vrai duc, à plus forte raison le corrégidor.

Le véritable amphitryon,
Est l’amphitryon où l’on soupe !

dit Plaute, et depuis lui Molière ; et Josué Calzado soupait d’un si bon appétit qu’il en aurait donné à quelqu’un qui n’en aurait pas eu. Grâce au ciel, ce n’était pas là ce qui manquait au noble châtelain. Tous deux à l’envi sablaient le porto et l’alicante. Le temps s’écoulait vite pour eux, et Aïxa, se promenant dans la chambre, les yeux fixés sur la pendule, comptait les minutes, et se disait :

— Une heure ! une heure d’avance ! Voilà une heure qu’ils sont partis !

Elle était tellement-préoccupée de l’idée unique qui dans ce moment l’absorbait tout entière, qu’elle fit à peine attention au corrégidor, Celui-ci se levait et disait au duc :

— Je crains, monseigneur, d’être indiscret… mais à cette heure-ci il me sera bien difficile de retourner à l’hôtellerie du village…

— Aussi j’espère bien que vous logerez au château.

Le duc prit un flambeau qu’il mit dans la main de Josué Calzado, et s’approchant de la porte, il cria au dehors :

— Conduisez M. le corrégidor à son appartement.

— Qu’est-ce ? dit Aïxa en sortant de la rêverie où elle était plongée.