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piquillo alliaga.

Avant que l’inconnu eût pu répondre, la porte du petit salon s’ouvrit. Le corrégidor, rayonnant de joie, sortit, suivi de son neveu et de ses trois affidés…

— Pacheco ne m’a-t-il pas trompé ? s’écria-t-il ; est-il vrai que M. le duc de Santarem nous soit rendu ?

— Oui, monsieur le corrégidor, dit l’inconnu, sans se déconcerter. Et il tendit avec une certaine dignité sa main au magistrat, qui s’empressa de la serrer dans les siennes, comme pour s’assurer encore mieux de la présence réelle de monseigneur.

— Vous seul aviez raison, monsieur le corrégidor, dit Fernand en souriant, et je prie monsieur le duc de vouloir bien, ainsi que vous, me pardonner mon erreur.

— Erreur d’autant plus fatale, s’écria le corrégidor, qu’elle pouvait causer à madame la duchesse le saisissement le plus dangereux.

— Je n’en suis pas encore remise, dit Aïxa, pâle et tremblante.

— Et, continua le magistrat, il n’a pas fallu moins que la présence de votre mari pour vous rassurer entièrement.

— Comme vous dites, monsieur le corrégidor.

— Et maintenant, s’écria celui-ci, que la reconnaissance a eu lieu, que M. le duc est réellement vivant et bien vivant, et que nous voilà tous revenus de nos terreurs, à commencer par moi, expliquons-nous, car la justice veut des explications ; elle ne vit que de cela, et je suis obligé, pour monseigneur le duc de Lerma, de consigner la vérité sur mon procès-verbal.

Et le digne magistrat, qui avait déjà repris toute sa belle humeur, et qui rêvait de nouveau la place de conseiller et l’ordre d’Alcantara, ajouta en riant :

— Si la vérité était exilée de la terre, c’est dans les procès-verbaux qu’il faudrait l’aller chercher. Vous d’abord, seigneur don Fernand, comment avez-vous pu croire que M. le duc de Santarem était mort ? et comment le seigneur Yézid d’Albérique, qui est blessé…

Au nom de Yézid d’Albériqué, l’inconnu leva la tête et regarda le jeune homme avec attention. Le corrégider, qui avait remarqué ce geste, se mit à rire, et s’adressant à l’étranger :

— Oui, monseigneur, on accusait ce jeune homme de vous avoir tué, et il se trouve au contraire que, grâce au ciel, vous vous portez à merveille, et que c’est lui qui est blessé… Comment m’expliquera-t-on tout cela ?

— Très-aisément, monsieur le corrégider, dit Fernand avec un aplomb qui effraya Yézid et Aïxa et qui intrigua beaucoup l’inconnu.

Chacun redoubla d’attention.

— Ce soir, monsieur le corrégider, je suis arrivé assez tard de Madrid pour parler à M. de Santarem de la part du duc de Lerma…

— Je comprends, dit le corrégider.

— En essayant de rejoindre dans le parc le maître du château, qui faisait, m’a-t-on dit, sa promenade du soir, j’ai heurté la nuit sous mes pas un homme étendu à terre et sans connaissance ; j’ai cru tout naturellement que c’était le duc de Santarem que je cherchais… vous l’auriez cru comme moi.

— C’est très-juste, dit le corrégider.

— J’ai essayé vainement de le rappeler à la vie. Et alors, je l’ai cru mort.

— C’est tout simple, dit le corrégider.

— En voulant appeler et chercher du secours, je me suis égaré dans le parc, et c’est après deux heures : de marche que je suis enfin arrivé à l’hôtellerie, où vous dormiez…

— Je me le rappelle parfaitement.

— Pendant ce temps, qu’avaient fait les deux combattants ? car c’était un duel, monsieur le corrégidor, nous sommes obligés de vous l’avouer… Des deux adversaires, l’un… M. le duc de Santarem, qui était vainqueur, rentrait tranquillement chez lui, dans son château, l’autre, le seigneur Yézid, qui enfin était revenu à lui, s’était traîné, quoique dangereusement blessé, chez le charron Antonio, où vos gens l’ont saisi. Voilà toute la vérité.

— La vérité tout entière, répéta l’inconnu avec noblesse.

— C’est en effet bien simple, dit le corrégider, et je ne l’aurais jamais deviné.

— Je dois cependant, continua le faux Santarem, ajouter un mot au récit de Fernand d’Albayda, mon ami : c’est que j’étais rentré chez moi pour envoyer des secours à mon noble et vaillant adversaire, et ne pas le compromettre, je m’étais décidé à les lui porter moi-même. C’est un devoir que j’allais remplir… quand vos gens m’ont empêché de sortir de chez moi…

— Ah ! monseigneur ! fit Pacheco en s’inclinant.

— Insolence que je comptais châtier, et dont maintenant je rends grâce au ciel ! Quant au sujet de notre combat, ajouta-t-il en regardant le corrégidor, j’espère que personne ne m’en demandera compte. Il est des secrets qu’il n’est pas permis de trahir, même quand on le voudrait ; celui-ci est de ce nombre…

— Je ne demande rien de plus, s’écria le corrégidor avec respect.

— Le plus important dans ce moment, dit Aïxa en montrant Yézid, est de donner des soins à ce jeune gentilhomme.

— J’espère, répliqua l’inconnu avec un accent chevaleresque, qu’il daignera accepter un appartement dans mon château. Ce serait m’offenser que de loger ailleurs.

Yézid s’inclina en signe d’assentiment. Fernand proposa de lui donner le bras.

— Et moi, Messeigneurs, dit Aïxa, si M. le duc daigne me le permettre, et elle regarda l’inconnu, je vais vous indiquer l’appartement qui vous est destiné.

L’inconnu approuva de la main et du regard, adressa un salut gracieux à don Fernand et à Yézid, puis se jetant dans un excellent fauteuil près de la cheminée, il contempla, d’un air d’aisance et de protection, Josué Calzado.

— Eh bien ! corrégidor, que je ne vous gêne pas ; achevez votre procès-verbal.

Pendant ce temps, le cœur oppressé par la joie et respirant à peine, les trois amis sortaient de l’appartement ; mais au lieu de monter le grand escalier qui