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piquillo alliaga.

— Un vieux seigneur, dit la comtesse avec dédain ; je l’ai connu autrefois.

— Celui que vous avez connu n’est plus, dit le duc. Son fils, le duc de Santarem, est jeune, c’est un beau et brillant cavalier qui apporte à celle qu’il choisit des biens immenses en Portugal et en Espagne, un très-beau château situé aux environs de Tolède, un hôtel à Madrid, et de plus le titre de duchesse.

Tout cela paraissait si beau, si loyal, si extraordinaire, que la comtesse d’Altamira ne pouvait y croire. Elle devinait bien, elle si habituée aux intrigues des cours, le motif secret qui guidait le duc ; mais elle ne pouvait comprendre comment le duc de Santarem consentait à s’y associer ; car c’était réellement l’héritier d’une des premières familles de la monarchie, et même, sans arrière-pensée d’une position encore plus brillante, ce mariage seul offrait déjà, pour Aïxa, un rang et des avantages dont s’indignait la comtesse.

Quant à Aïxa, froide et immobile, ne témoignant ni joie ni surprise d’une pareille alliance, elle semblait plongée dans une profonde réflexion dont elle sortit en disant :

— Je vous remercie, monsieur le duc, ainsi que Sa Majesté, de l’honneur qu’elle veut me faire en s’occupant de mon avenir ; mais dans une affaire aussi importante et aussi grave, on ne peut prendre sur-le-champ une résolution, et je demande à Votre Excellence le temps d’y réfléchir.

— C’est trop juste, senora ; quel temps demandez-vous ?

Aïxa sembla calculer et répondit :

— Je demande dix jours, monseigneur.

— Impossible, senora ; songez donc que le duc de Santarem et que le roi lui-même attendent une réponse plus prompte… et je vous supplie en grâce…

Aixa, sans prendre le moins du monde en considération la prière et l’insistance du duc, répliqua froidement et du même ton :

— Je demande dix jours.

— Mais cependant, senora

— Pas un de moins, dit Aïxa.

Le duc s’inclina jusqu’à terre avec respect ; puis, saluant moins profondément les deux autres dames, il sortit de l’hôtel d’Altamira.

Un instant après, on entendit rouler sa voiture, et la comtesse, contemplant le sang-froid d’Aïxa, se dit en elle-même avec dépit :

— En vérité, elle serait sultane favorite depuis six mois, qu’elle ne parlerait pas au ministre avec une dignité plus insolente et plus royale.

Sans adresser la parole à la comtesse, Aïxa sortit avec Carmen, qui lui dit : — Quelle est ton idée ?

— Mon idée, à moi, répondit vivement Aïxa, serait de refuser.

— Et comment le faire sans mécontenter le roi ?

— Je l’ignore.

— Et surtout son ministre ?

— J’ai dix jours devant moi ; Dieu m’inspirera quelque bonne idée.

Aïxa se retira dans son appartement pour réfléchir à loisir, mais dès qu’elle se vit seule, elle ferma sa porte au verrou, et courut à son secrétaire.

Pendant qu’elle écrit vivement et longuement, voyons ce qui avait donné au duc de Lerma l’idée de ce mariage, et quel concours de circonstances lui avait permis d’en tenter l’exécution.

Il cherchait, comme nous l’avons dit, les moyens de tenir la promesse faite par lui à son auguste maître, celle d’amener Aïxa à la cour.

Il avait reçu, quelques jours auparavant, des dépêches importantes de Fernand d’Albayda, datées de Lisbonne. Fernand apprenait au ministre que quelques rassemblements sans consistance, quelques révoltes partielles avaient été promptement dissipés par son activité et par son zèle.

Il pensait qu’on ne devait point sévir contre de malheureux paysans, pris les armes à la main, qui n’étaient coupables, après tout, que de s’être laissé entraîner par les suggestions de quelques grands seigneurs dont ils étaient les vassaux ; que c’était contre ceux-là qu’il était plus juste de déployer de la sévérité ; qu’il regardait, comme fauteurs secrets de ces troubles, le comte de Pombal, le marquis d’Atalaïa et le duc de Santarem ; qu’il avait des preuves évidentes contre les deux premiers et qu’il ne tarderait pas à en obtenir contre le troisième.

Il finissait en demandant les ordres du roi et de son ministre.

Le duc répondit : S’assurer du comte de Pombal et du marquis d’Atalaïa et leur faire leur procès ; quant au duc de Santarem, l’envoyer sur-le-champ à Madrid, sous bonne escorte, tout en continuant la recherche des preuves qui peuvent le faire condamner.

Don Fernand expédia sur-le-champ le prisonnier qu’on lui demandait, et écrivit au ministre qu’il le suppliait de suspendre à l’égard des coupables les voies de rigueur, persuadé que leur seule arrestation suffirait pour tout pacifier.

Le duc de Santarem actuel était le fils de celui dont nous avons parlé dans les premiers chapitres de cette histoire ; de celui qui, dans une partie de chasse dans les montagnes de l’Alentejo, s’était arrêté chez Géronima, la femme du contrebandier, hasard malheureux pour le contrebandier Balseiro, pour sa femme et surtout pour le pays, puisque, sans cette rencontre, le capitaine Juan-Baptista Balseiro, dont nous avons plus d’une fois entretenu nos lecteurs, n’aurait probablement pas vu le jour ! perte précieuse pour tous ceux qui plus tard eurent le malheur d’avoir des relations avec le capitaine.

Nous ne prétendons pas dire que le même sang eût produit les mêmes effets, et qu’il y eût la moindre comparaison à établir entre le bâtard du duc de Santarem et son héritier légitime.

Celui-ci, élevé en fils de bonne maison, avait de la tenue, du courage et des principes en dose suffisante, un peu de fatuité et de recherche dans les manières, beaucoup d’importance et pas le moindre jugement. Après la mort de son père, qui venait de lui laisser une fort belle fortune, il s’ennuya dans ses terres, s’indigna de ne rien être, et s’avisa de conspirer contre l’Espagne et contre le duc de Lerma, pour passer son temps et faire quelque chose.

Mais trop grand seigneur pour mettre la main