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piquillo alliaga.

Cette fois, le roi voulut suivre la chasse à cheval, toujours par l’avis du duc d’Uzède. Comme cette idée lui était venue presque au moment du départ, on n’avait pas eu le temps d’en délibérer, et l’on partit.

La journée était avancée lorsqu’on se mit en chasse. Le matin, le ciel était sombre, et l’on avait voulu attendre, pour plus de sûreté, que le soleil eût dissipé les nuages et fût dans toute sa force ; d’ailleurs, la chasse devait, comme la première fois, ne durer que quelques heures.

Il en fut autrement. Le cerf y avait mis de la mauvaise volonté et n’avait pas voulu se laisser forcer ; le jour baissait, et le roi, qui était resté un peu en arrière, avec le duc d’Uzède, paraissait fatigué de sa journée.

— Eh bien ! sire, abandonnons la chasse.

— Et le cerf qui n’est pas forcé !

— Votre Majesté y tient-elle infiniment ?

— Pas beaucoup ; c’est trop long.

— Laissons ce soin à vos piqueurs, et retournons à Valladolid.

— Mais que dirons-nous en arrivant ?

— Que nous nous sommes égarés, que nous avons perdu la chasse.

— C’est une idée, dit le roi en souriant.

— Justement nous sommes loin de votre suite ; on ne nous voit pas. Prenons cette allée à gauche.

— Tu la connais, duc ?

— Parfaitement, sire, elle nous conduira hors du bois.

Les deux cavaliers s’y élancèrent. Au bout de quelques minutes, le duc tourna à gauche, puis à droite, puis encore à gauche, et on ne voyait pas apparaître la grande route.

— C’est singulier ! dit le roi, il me semble que nous tournons le dos à Valladolid.

— Je ne le crois pas, sire.

— Tu n’en es donc pas sûr ?

— Je suis sûr de mon chemin, répondit le duc (qui le connaissait parfaitement), quand il fait jour ; mais voici la nuit arrivée, et je ne sais plus où je suis.

— Ah ! mon Dieu ! fit le roi avec un peu de crainte.

— Et personne dans ce bois pour demander la route ! Depuis longtemps nous n’entendons plus ni le bruit des chevaux ni le son des cors.

— Mais, duc, dit le roi en s’efforçant de sourire, nous sommes donc égares ?

— C’est probable, sire.

— Égarés réellement ?

— Grâce au ciel ! qui aura voulu nous épargner un mensonge ; et en le disant, comme nous en étions convenus, il se trouvera que nous dirons la vérité.

— Cela vaut mieux, dit le roi. Cependant, j’aimerais autant que ce ne fût pas… car enfin, seul ainsi dans une forêt, à sept ou huit heures du soir.

— Plus que cela, sire, huit heures et demie. L’Angelus est sonné.

— Tu vois bien, cela ne m’est jamais arrivé !

— Eh bien ! sire, ce sera dans votre vie un incident, une aventure de roman.

— C’est vrai !… Mais c’est que j’ai faim, et une faim très-vive, mon cher duc.

— Ah ! voilà qui est moins romanesque ! Mais, tenez, sire, au milieu de ces bois, ne voyez-vous pas là-bas, là-bas, briller une lumière ?

— Je la vois, dit le roi vivement.

— Dirigeons-nous de ce côté, nous sommes sauvés !

Le roi, dont cet incident venait de ranimer la gaieté, lança son cheval au galop et suivit une longue allée verte.

— Tu as raison, duc, disait-il en riant, tu as raison. Vivent les aventures ! c’est charmant ! c’est délicieux ! Je ne voudrais pas pour beaucoup que celle-ci ne me fût pas arrivée.

Mais tout à coup il arrêta son cheval, et dit en baissant la voix d’un air inquiet :

— Je ne vois plus la lumière !

— C’est vrai, sire ; elle a disparu.

— Alors, qu’allons-nous devenir ?

— Marchons toujours. Cela prouve qu’il y a de ce côté des habitations…… quelque chaumière, quelque ferme.

— C’est juste.

— Et la lumière qui brillait tout à l’heure aura été éteinte par ce paysan ou par ce fermier.

— Ce qui prouverait, dit le roi avec inquiétude, qu’il est plus tard encore que tu ne le disais d’abord.

— Qu’importe ! nous ne pouvons plus maintenant espérer dîner à Valladolid.

— Ah ! dit le roi en poussant un cri de joie… je revois la petite lumière !

Un groupe épais de vieux arbres la leur avait cachée pendant quelque temps, et le roi sentit renaître sa gaieté.

— Oui, oui, c’est quelque chaumière, quelque ferme. Nous ferons un mauvais dîner, c’est égal.

— C’est bien plus piquant, sire.

— Tu as raison, mon cher duc.

— Du lait et du pain bis.

— Repas dont j’ai entendu parler, mais que je ne connais pas.

— Vous ferez connaissance.

— Et puis le fermier ou le paysan ne saura pas qui nous sommes.

— Nous ferons de l’incognito.

— Ce sera charmant ! nous le ferons parler de ton père, le duc de Lerma.

— Dont il dira peut-être du mal.

— Cela m’amusera, et puis nous lui parlerons de moi-même, du roi !

— Vous entendrez leurs éloges, leurs bénédictions.

— Je le crois, dit le roi avec satisfaction, car moi je n’ai jamais voulu leur faire que du bien ; ce sera, pour moi, une soirée charmante.

— Votre Majesté est-elle encore fâchée de s’être égarée ?

— J’en suis ravi, au contraire !… mais cette allée est bien longue et ne finit pas.

— Nous approchons cependant.

— Oui, dit le roi, enfin nous y voici !

Le bâtiment devant lequel ils se trouvaient n’était ni une chaumière, ni une ferme. C’était un pavillon gothique, tenant à un parc considérable et dont les murs semblaient avoir une lieue de tour. La lumière