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piquillo alliaga.

— Bien… bien, Fernand ! Je t’estime et t’honore, car tu es un noble cœur !


XXXI.

le pavillon du parc.

La cour partait le lendemain pour Valladolid. Elle y allait souvent ; le but du duc de Lerma, en multipliant ces voyages, était d’habituer peu à peu le roi à s’y fixer, ce qui finit par arriver, et le siége du gouvernement y fut définitivement transporté, pendant le ministère du duc de Lerma.

Le ministre, et surtout son frère Sandoval y Royas, le grand inquisiteur, préféraient ce séjour à celui de Madrid. Une grande capitale, oisive et railleuse, les gênait. Ils étaient trop en vue. À Valladolid, ils se croyaient chez eux, grâce surtout aux magnifiques et nombreux couvents dont les habitants formaient la moitié de la population.

Valladolid est situé au fond d’une immense vallée qui semble avoir été formée par quelqu’une des grandes convulsions du globe ; car les flancs des collines qui l’environnent, sont escarpés et découpés en formes si bizarres, qu’ils ont été sans doute ravagés par quelque force volcanique.

Le tout donne un aspect sombre et triste à la ville, qui avait alors l’air d’une immense chartreuse.

La cour s’éloignant de Madrid, la comtesse d’Altamira était obligée de la suivre, puisqu’elle était attachée au service de la reine ; et Carmen, ainsi qu’Aïxa, devaient accompagner la comtesse, car il avait été décidé que, jusqu’à l’époque de son mariage, Carmen ne quitterait point sa tante.

Fernand aurait bien voulu partir avec sa fiancée ; mais il venait de promettre à Aïxa de faire toutes les démarches nécessaires pour découvrir les traces de Piquillo, et, une fois ce premier point obtenu, d’employer tous ses amis et tout son crédit pour le délivrer.

Aïxa comptait bien aussi un peu sur la reine, mais avant d’avoir recours à elle, il fallait d’abord savoir où était le prisonnier, et quel genre de danger le menaçait.

Don Fernand resta donc à Madrid, et les deux jeunes filles partirent pour Valladolid, avec la comtesse.

Quoique attachée au service de Sa Majesté, la comtesse était rarement au palais et n’y séjournait que pour son plaisir. Ses fonctions se bornaient à peu de chose ; la reine ne l’appelait presque jamais, et au lieu de demeurer à Valladolid même, elle habitait, non loin de Médina, et sur les bords du Duero, un antique château, dont le parc était traversé par cette rivière. Son onde, pure et fraîche, tantôt coulait doucement sur un lit de blancs cailloux, tantôt bouillonnait avec fracas sur des rochers aigus.

Ce lieu solitaire et pittoresque séduisit tout d’abord les deux jeunes filles. Ce qui est rare dans ce pays, les environs en étaient fort boisés, et une forêt, qui s’étendait assez loin, entourait le château, placé dans un ravin assez profond, agrément qui augmentait encore l’aspect mélancolique du lieu.

Carmen n’avait pas besoin d’occupation ; dans les allées du parc ou dans celles de la forêt, elle rêvait à Fernand, cela lui suffisait. Aïxa, qui, sans doute, ne voulait rêver à personne, ne restait pas un instant oisive ; elle faisait de longues promenades, parcourait les environs, allait surtout à une ferme voisine, d’où l’on découvrait des points de vue admirables : elle emportait ses crayons et ses pinceaux, et passait des heures entières à peindre.

La fermière, qui n’était pas riche, avait de nombreux enfants, une fille, entre autres, qu’elle aurait bien voulu marier.

Aïxa s’occupait déjà des moyens de réaliser ce rêve ; elle avait pensé à la dot au trousseau, elle y travaillait elle-même ; enfin cette âme ardente et noble, qui croyait tout possible à une volonté ferme et courageuse, sentait sans doute que quelque danger la menaçait, et, décidée à combattre, décidée à triompher d’elle-même et de ses pensées, elle savait les éloigner et les vaincre par le travail, par l’étude, par les distractions qu’elle demandait à la bienfaisance ; et ses combats, à elle, étaient encore des vertus.

Non loin de cet asile si pur et si chaste, dans le palais de Valladolid, s’agitaient bien d’autres passions. Le duc de Lerma avait, depuis quelque temps, remarqué dans le roi, d’ordinaire si calme et si tranquille, une espèce d’agitation et d’effervescence qui l’inquiétait.

— Qu’est-ce donc ? avait-il demandé à son fils, le duc d’Uzède. Qu’y a-t-il ?

— Rien ! une vague inquiétude qui a besoin d’air et de mouvement, et il reste toujours renfermé dans l’enceinte de ce palais.

— C’est juste, il faudrait organiser…

— Quoi donc ?

— Quelque cérémonie religieuse… quelque procession qui lui donnât un peu de bon temps et de distraction.

— Je ferais mieux.

— Auriez-vous une idée ?

— Oui… une partie de chasse.

— Exercice trop fatigant, auquel Sa Majesté n’est pas habituée.

— Aussi nous suivrons seulement la chasse en voiture, dans les bois de Médina.

— C’est possible.

— Par une belle journée… un beau soleil… quand le roi verrait de la verdure et des arbres…

— Oui, dit le ministre, ici, à Valladolid… il n’y a pas de danger.

Et une partie de chasse fut ordonnée pour le lendemain.

Elle se passa sans danger, et au bout de deux ou trois heures de promenade en voiture, le roi rentra enchanté de son expédition. Il avait vu galoper des chevaux, entendu le bruit des cors, l’aboiement de la meute ; il avait surtout humé un air vif et pur. Il dîna avec un grand appétit, ce qui n’arrive pas toujours aux estomacs royaux, et, quelques jours après, par les avis du duc d’Uzède, il voulut recommencer.

Le duc de Lerma et le grand inquisiteur, après en avoir délibéré en conseil, n’y virent aucun inconvénient.