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piquillo alliaga.

La grand’mère se cacha la tête dans ses mains et se mit à sangloter.

Le chemin qu’il parcourut d’abord n’était que trop en harmonie avec les sentiments qu’il éprouvait. Rien de plus triste, de plus aride que les environs de Madrid et une grande partie de la Nouvelle-Castille. Le pays qu’il traversait lui semblait inhabité, tant sa population, indolente et oisive, offrait peu de mouvement et d’activité.

Nulle part on n’apercevait la charrue du laboureur, ni les troupeaux des bergers, ni la circulation du commerce ou de l’industrie ; nulle part on n’entendait le bruit d’une manufacture ou d’une fabrique, ou les chants de l’ouvrier. Tout était mort et silencieux.

Mais le troisième jour, au moment où il mit le pied dans le royaume de Valence, on aurait dit qu’un magicien, étendant sa baguette, venait de réveiller toute cette population endormie, de lui rendre tout à coup l’âme, le mouvement et la vie.

À l’aspect de ce jardin continuel, où l’air est imprégné du parfum des orangers et des citronniers, de ces moissons de froment, de chanvre et de maïs qui s’élevaient en amphithéâtre, de ces forêts de mûriers, de caroubiers, d’oliviers et de figuiers qui couronnaient les hauteurs, Piquillo s’arrêta, stupéfait et ravi, sur un petit tertre qui dominait de vastes prairies, et se mit à l’ombre sous un berceau de grenadiers et d’aloès, le long desquels s’élevaient des guirlandes de vignes dont les grappes dorées retombaient en festons au-dessus de sa tête.

Jamais rien de pareil ne s’était offert à ses yeux ou à son imagination. Ni les campagnes froides et humides de la Navarre, ni les plaines de la Castille, les seuls pays qu’il eût vus, n’avaient pu lui donner idée fixe d’une nature aussi riche, aussi splendide, aussi féconde ; et partout le travail et l’industrie, portés au plus haut point, étaient venus seconder ce luxe de la végétation.

On ne pourrait de nos jours s’imaginer tout ce que les Maures du royaume de Valence avaient déployé d’art, et même de génie, dans l’agriculture, si les travaux créés par eux, et qui subsistent encore en partie,