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écolier, pauvre gentilhomme de province, perdu dans la ville de Londres, je voulais, il y a deux ans, me jeter dans la Tamise, faute de vingt-cinq guinées, et vous m’en avez donné deux cents que je vous dois toujours !…

BOL. Pardieu, mon cher, je voudrais bien être à votre place, et je changerais volontiers avec vous…

MASH. Pourquoi cela ?

BOL. Parce que j’en dois cent fois davantage.

MASH. Ô ciel ! vous êtes malheureux !

BOL. Non pas !… je suis ruiné, voilà tout !… mais jamais je n’ai été plus dispos, plus joyeux et plus libre… Pendant cinq années les plus longues de ma vie, riche et ennuyé de plaisirs, j’ai mangé mon patrimoine… Il fallait bien s’occuper. À vingt-cinq ans… tout était fini !…

MASH. Est-il possible ?

BOL. Je n’ai pas pu aller plus vite !… Pour rétablir mes affaires, on m’avait marié à une femme charmante… impossible de vivre avec elle… un million de dot… autant de défauts et de caprices… J’ai rendu la dot… j’y gagne encore !… Ma femme brillait à la cour, elle était du parti des Marlborough, elle était wigh… vous comprenez que je devais être tory ; je me suis jeté dans l’opposition : je lui dois cela !… je lui dois mon bonheur ! car, depuis ce jour, mon instinct et ma vocation se sont révélés ! c’était là l’aliment qu’il fallait à mon âme ardente et inactive ! Dans nos tourments politiques, dans nos orages de tribune, je respire, je suis à l’aise, et comme le matelot anglais sur la mer, je suis chez moi, dans mon élément,