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elle fit un geste d’adieu ; et le chevalier répéta souvent dans la suite que le prix d’un tournoi, décerné par une dame brillante d’attraits et de parure, n’avait jamais autant ému son cœur que ce simple adieu muet.

Guidé par un fidèle montagnard et accompagné de ses deux limiers, Fitz-James suit à pas lents les détours des hauteurs : la jeune fille l’épie encore de loin d’un air distrait ; mais, quand elle eut perdu de vue la figure noble de son hôte, sa conscience lui adressa un reproche secret.

— Et ton Malcolm, vaine et ingrate Hélène !… se dit-elle ; — Malcolm n’aurait pas écouté comme toi, en rêvant, les doux accens de la langue du sud ! Malcolm n’aurait jamais attaché ses regards sur d’autres pas que les tiens !

— Sors de ta rêverie, Allan-Bane ! s’écria Hélène en s’adressant au vieux ménestrel, auprès de qui elle était assise ; sors de ta rêverie ! Je vais donner à ta harpe le sujet d’un chant héroïque, et t’enflammer par un noble nom ; célèbre la gloire des Græme !

A peine ces mots étaient-ils échappés de ses lèvres, que la timide Hélène rougit de pudeur ; car le jeune Malcolm Græme était regardé comme le héros de son clan dans tous les châteaux de l’Ecosse[1].

VII.

Le ménestrel fit vibrer les cordes de sa harpe… Trois fois des préludes guerriers retentirent sur les bords du lac ; trois fois cette harmonie martiale se perdit en tristes murmures.

Le vieillard croisa ses mains flétries, et dit à Hélène :

— Vainement, ô noble fille des héros ! vainement tu m’ordonnes de célébrer ce clan généreux, toi qui fus toujours obéie par ton vieux barde ! Hélas ! une main plus puissante que la mienne a accordé ma harpe et commandé ses sons ! Je touche les cordes des chants de gloire ; elles répondent par des accens de douleur et de deuil. La marche triomphante des vainqueurs se perd dans l’hymne lugubre des funérailles ! Oh ! si du moins ce son prophétique n’annonçai que

  1. L’ancienne famille des Graham possédait des domaines considérables dans les cantons de Dumbarton et de Stirling. La mesure nous a fait presque une loi d’écrire ce nom d’après la prononciation écossaise. Il est peu de familles qui puissent prétendre à plus de renommée historique ; trois célèbres héros des annales d’Ecosse lui assurent l’immortalité. Le premier fut sir John the Græme, fidèle compagnon d’armes de Wallace, et mort à la bataille de Falkirk en 1298 ; le second de ces grands hommes fut le marquis de Montrose, dans lequel le cardinal de Retz vit se réaliser l’idéal qu’il s’était formé des héros de l’antiquité. Malgré la sévérité de son caractère et la rigueur avec laquelle il exécuta la terrible mission des princes qu’il servit, je n’hésite pas à nommer comme le troisième John Græme de Claverhouse, vicomte de Dundee, dont la mort héroïque dans le sein de la victoire doit atténuer la cruauté qu’il montra envers les non-conformistes pendant les règnes de Charles II et de Jacques II.