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LE NAIN NOIR

trouver au fond du désert un être que la race humaine a rejeté de son sein ? N’as-tu pas frémi en te présentant ici ?

— Le malheur ne connaît pas la crainte.

— N’as-tu donc pas entendu dire que je suis ligué avec des êtres surnaturels aussi difformes que moi ? Comment as-tu osé venir de nuit dans ma retraite ?

— Le Dieu que j’adore me soutient contre de vaines terreurs.

— Oh ! oh ! tu prétends avoir de la philosophie ! mais, jeune et belle comme tu l’es, n’aurais-tu pas dû craindre de te livrer au pouvoir d’un être si dépité contre la nature, que la destruction d’un de ses plus beaux ouvrages doit être un plaisir pour lui ?

Les alarmes d’Isabelle croissaient à chaque mot. Elle lui répondit pourtant : — Quelques injures que vous puissiez avoir éprouvées dans le monde, vous êtes incapable de vouloir vous en venger sur quelqu’un qui ne vous a jamais offensé.

— Tu ignores donc, reprit-il en fixant sur elle des yeux où brillait une affreuse malignité ; tu ignores donc les plaisirs de la vengeance ?

— Les horribles idées que vous me présentez ne peuvent entrer dans mon esprit. Qui que vous puissiez être, vous ne voudriez pas faire insulte à une malheureuse que sa confiance en vous a amenée sous votre toit.

— Tu as raison, répondit-il ; je ne le voudrais ni ne l’oserais. Retourne chez toi. Quels que soient les maux qui te menacent, cesse de les craindre. Tu m’as demandé ma protection, tu en éprouveras les effets.

— Mais c’est cette nuit même que je dois consentir à épouser un homme que je déteste, ou à mettre le sceau à la perte de mon père !

— Cette nuit même ?… À quelle heure ?

— À minuit.

— Il suffit. Ne crains rien, ce mariage ne s’accomplira pas.

— Et mon père ? dit Isabelle d’un ton suppliant.

— Ton père ? s’écria le Nain en fronçant le sourcil : il a été et il est encore mon plus cruel ennemi. Mais, ajouta-t-il d’un ton plus doux, les vertus de sa fille le protègeront. Maintenant, retire-toi : si tu restais davantage, je craindrais de retomber dans ces rêves absurdes sur les vertus humaines. — Je te le répète, ne crains rien. Présente-toi devant l’autel, c’est là que tu verras mes promesses se réaliser.

Il ouvrit la porte de sa hutte, et laissa miss Vere remonter à cheval sans paraître autrement s’inquiéter d’elle. Mais en partant elle l’entrevit à la lucarne qui lui servait de fenêtre ; et il y resta jusqu’à ce qu’il l’eût perdue de vue.