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INTRODUCTION

s’écria avec la plus effrayante colère : — Suis-je un crapaud, pour que vous crachiez à mon aspect ? — puis, sans vouloir rien entendre, il la mit dehors en l’accablant d’imprécations.

La nature maintient un certain équilibre de bon et de mauvais dans tous ses ouvrages, et il n’y a peut-être pas d’état si misérable qui ne possède quelque source de bonheur inconnu. Ce pauvre diable avait cependant quelques consolations. Dans la solitude qu’il s’était choisie, il devint un admirateur passionné de la nature : son jardin qu’il cultivait avec soin, faisait sa gloire et ses délices. Poussant plus loin encore son admiration pour des beautés plus champêtres, la douce pente d’une montagne couverte de verdure, le bouillonnement d’une claire fontaine, ou les ombrages d’un bois épais, étaient des scènes qui lui causaient un inexprimable plaisir. C’est peut-être par cette raison qu’il aimait les pastorales de Shenstone et quelques passages du Paradis perdu. L’auteur a entendu sa voix peu harmonieuse réciter la célèbre description du Paradis, qu’il semblait apprécier à sa juste valeur. Ses autres études étaient d’une nature différente et principalement polémique. Jamais il n’allait à l’église de la paroisse, ce qui attirait sur lui le soupçon d’entretenir des opinions hétérodoxes. Il parlait d’une vie à venir avec une profonde sensibilité et exprimait du dégoût à l’idée que ses restes seraient confondus avec le rebut commun du cimetière ; aussi, guidé par son goût ordinaire, avait-il choisi un site charmant et sauvage, dans le vallon qu’il habitait, pour en faire sa dernière demeure. Pourtant il changea d’idée dans la suite, et fut inhumé dans le cimetière de la paroisse de Manor.

L’auteur a gratifié Wise Elshie de quelques qualités qui le font paraître, aux yeux du vulgaire, comme possédant un pouvoir surnaturel. La renommée faisait à David Ritchie un compliment semblable, car les ignorants et les enfants du voisinage le croyaient ce qu’on appelle uncanny[1] ; et il se montrait peu soucieux de détruire cette opinion. Elle était un adoucissement à sa misanthropie.

David Ritchie affectait de fréquenter les lieux solitaires, particulièrement ceux qu’on supposait hantés par les esprits. Il est certain qu’il courait peu de chances de rencontrer quelque objet plus effrayant que lui-même.

Nous avons dit que David Ritchie admirait les beautés de la nature. Ses seuls favoris parmi les êtres vivants étaient un chat et un chien, et des abeilles dont il avait le plus grand soin. Vers la fin de sa vie, il fit venir auprès de lui une de ses sœurs qu’il logea dans une hutte adjacente à la sienne, sans permettre jamais qu’elle entrât chez lui. Cette femme était d’une intelligence faible, mais sa personne n’avait rien de difforme ; simple, même un peu sotte, elle n’était ni triste ni bizarre comme son frère. David ne lui montrait aucune sorte d’affection, mais il la supportait ; tous deux ils recevaient un faible secours de la paroisse. Grâce au patriarcal

  1. Uncanny, mot écossais qui signifie ligué avec le diable, doué de pouvoirs surnaturels.