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LE NAIN NOIR

de miss Vere n’était connue que des personnes qui avaient intérêt elles-mêmes à ne pas divulguer le secret.

On servit un dîner somptueux. Contenus par le respect qu’ils éprouvaient pour les personnages illustres dans la société desquels ils se trouvaient pour la première fois, les convives du bas bout gardèrent quelque temps le silence. Mais bientôt, à force de vider et de remplir leurs verres, ils finirent par briser la glace du cérémonial ; et autant ils s’étalent montrés d’abord réservés et tranquilles, autant ils devinrent bruyants.

Au contraire, ni le vin, ni les liqueurs spiritueuses, n’eurent le pouvoir d’échauffer l’esprit des personnes placées au haut bout de la table : elles éprouvaient ce serrement de cœur, ce froid glacial qui se fait souvent sentir lorsque, à la suite d’une détermination désespérée, on se trouve dans une position où il est aussi dangereux d’avancer que de reculer. Plus ils approchaient du précipice, plus ils le trouvaient profond ; et chacun attendait que ses associés lui donnassent l’exemple de la résolution en s’y précipitant les premiers. Sir Frédéric était distrait et boudeur. Ellieslaw lui-même faisait des efforts si pénibles pour échauffer l’enthousiasme général, qu’évidemment le sien était considérablement refroidi. Mareschal conservait son étourderie et sa vivacité.

— Pourquoi donc notre courage semble-t-il éteint aujourd’hui ? s’écria ce dernier ; on dirait que nous sommes à un enterrement.

— De grâce, Mareschal, dit Ellieslaw, trêve de folies.

— Eh bien, je vais vous étonner, je vais vous donner une leçon de sagesse. Si nous nous sommes avancés comme des fous, il ne faut pas reculer comme des lâches. Nous en avons fait assez pour attirer sur nous les soupçons et la vengeance du gouvernement. Attendrons-nous la persécution, sans rien faire pour l’éviter ?… Quoi ! personne ne parle ! Eh bien, je sauterai le fossé le premier.

Alors Mareschal se leva, remplit son verre d’un bordeaux généreux, puis, étendant la main pour obtenir du silence, il engagea toute la compagnie à l’imiter. Quand tous les verres furent pleins, tous les convives debout : — Mes amis, s’écria-t-il, voici le toast du jour : À l’indépendance de l’Écosse et à la santé de son souverain légitime, le roi Jacques VIII, déjà débarqué dans le Lothian, et, je l’espère, en possession de son ancienne capitale. — À ces mots, il vida son verre, puis, le jetant par-dessus sa tête : — Il ne sera jamais profané par un autre toast, ajouta-t-il.

Chacun suivit son exemple ; et au milieu du bruit des verres qui se brisaient, on jura de ne quitter les armes qu’après avoir réussi dans le dessein qui les avait fait prendre.

— Vous avez effectivement sauté le fossé, dit Ellieslaw à voix