Page:Scott - Nain noir. Les puritains d'Ecosse, trad. Defauconpret, Garnier, 1933.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
LE NAIN NOIR

rage de l’homme ; et qu’est-ce que ce bandit, si ce n’est un homme plus habile que les autres à remplir le but de son existence ?

— Écoute-moi, misérable, tu vas aller où je t’ai envoyé une fois.

— Chez l’intendant ?

— Oui ; tu lui diras qu’Elshender le Reclus lui ordonne de te donner de l’or. Mais rends la liberté à cette fille, renvoie-la dans sa famille ; qu’elle n’ait à se plaindre d’aucune insulte ; fais-lui seulement jurer de ne pas découvrir ton crime.

— Jurer ! Et si elle ne tient pas son serment ? les femmes n’ont pas une trop bonne réputation sur cet article. Mais si vingt pièces d’or m’étaient comptées, je crois pouvoir promettre qu’elle serait rendue à sa famille dans les vingt-quatre heures.

Le Nain tira de sa poche un petit portefeuille, écrivit une ou deux lignes, déchira le feuillet et le remit au brigand : — Tiens, lui dit-il mais ne songe pas à me tromper ! si tu n’exécutes pas ponctuellement mes ordres, ta vie m’en répondra.

— Je sais que vous avez du pouvoir, Elshie, je ne vous désobéirai pas.

— Pars donc, et délivre-moi de ton odieuse présence.

Le brigand donna un coup d’éperon à son cheval, et disparut.

Cependant Hobbie continuait sa route avec une sorte d’inquiétude vague qu’on appelle un mauvais pressentiment. Avant d’avoir gravi la hauteur d’où il pouvait voir la maison, il aperçut sa nourrice.

— Qu’est-ce donc qui a pu faire venir si loin la vieille nourrice ? se demanda Hobbie dès qu’il eut reconnu Annaple. Jamais elle ne s’éloigne de la ferme à plus d’une portée de fusil. Vient-elle m’annoncer quelque malheur ? Les paroles du vieux sorcier ne peuvent pas me sortir de la tête,

Annaple, le désespoir sur la figure, était arrivée près de lui ; saisissant son cheval par la bride, elle resta quelques instants sans pouvoir s’exprimer, tandis qu’Hobbie, ne sachant à quoi il devait s’attendre, n’osait l’interroger. — Mon cher enfant, s’écria-t-elle enfin, arrêtez !… n’allez pas plus loin !…

— Au nom du ciel, Annaple, expliquez-vous !

— Hélas ! tout est perdu, brûlé, saccagé ! Votre cœur se briserait si vous voyiez ce que mes vieux yeux ont vu.

— Et qui a osé faire cela ? — Lâchez la bride, Annaple ! Où est ma mère ? mes sœurs ? Grâce ? —- Ah ! le sorcier ! j’entends encore ses paroles.

Il pressa son cheval, et, ayant atteint le sommet de la colline, il découvrit le spectacle de désolation dont Annaple l’avait menacé. Des monceaux de cendres et de débris couvraient la place qu’avait