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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

— Il est pourtant vrai que cela me fît regarder de mauvais œil par notre parti. Mais je n’avais pas reçu l’inspiration de répandre le sang ; il me semblait, au contraire, que le ciel m’ordonnait de l’épargner et de sauver mon semblable : jamais je ne m’en suis repentie, quoiqu’on m’ait reproché de ne pas avoir un cœur de mère ; puisque j’avais secouru un homme appartenant au corps qui avait assassiné mes deux fils.

— Assassiné vos deux fils ?

— Oui, quoique vous puissiez donner à leur mort un autre nom : l’un est mort en combattant pour le Covenant trahi ; l’autre… ah ! mon Dieu ! les dragons vinrent l’arrêter ici, et ils le fusillèrent devant la maison, sous mes propres yeux, qui depuis ce jour-là n’ont plus fait que verser des larmes ; c’est alors que ma vue a commencé à décliner. Je vous le demande. Monsieur, aurais-je rendu la vie à mon Johny et à mon Ninian en sacrifiant celle de lord Evandale ?

— C’est à lord Evandale que vous avez sauvé la vie ?

— Oui, Monsieur, et depuis ce temps il a eu bien des bontés pour moi. Il m’a donné une vache et un veau, du blé, de l’argent ; et tant qu’il a eu de l’autorité, personne n’aurait osé m’insulter. Mais nous sommes vassaux du château de Tillietudlem ; Basile Olifant, le laird actuel, plaida longtemps contre lady Marguerite pour la propriété de ce domaine, et lord Evandale soutenait la vieille dame pour l’amour de miss Edith, qui est une des meilleures et des plus jolies filles d’Écosse, à ce qu’on dit dans tout le pays ; enfin, Basile gagna le château et les terres. Quand vint la révolution, il s’insinua dans les bonnes grâces du nouveau gouvernement ; lord Evandale, au contraire, perdit tout crédit, parce qu’il était trop fier et trop franc pour changer à tout vent. Mais Basile Olifant ne pouvait pardonner à lord Evandale de s’être déclaré contre lui dans son procès ; c’est un homme vindicatif : ne pouvant rien contre lui personnellement, il persécuta la pauvre Bessie Maclure, parce qu’il savait que lord Evandale la protégeait. Il a fait vendre mes vaches pour des arrérages de rente que je lui devais ; il a eu soin que j’eusse continuellement des dragons à loger ; en un mot, il a cherché tous les moyens de me ruiner, et tout cela pour chagriner lord Evandale ; mais il s’est bien trompé, car lord Evandale n’en sait rien, et il se passera bien du temps avant que je l’en instruise. Je sais supporter les peines que le ciel m’envoie ; et la perte des biens de ce monde n’est pas la plus grande.

Morton entendit avec autant d’admiration que d’intérêt la peinture naïve de la résignation, de la reconnaissance et du désintéressement de cette bonne femme ; il ne put s’empêcher de maudire