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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

mis à la raison, n’en doutez pas. Il lui donnera son compte, je vous le garantis.

— Et qui vous en rend donc si certain, mon ami ?

— Je le lui ai, de mes propres oreilles, entendu prédire par un homme qui était mort depuis trois heures, et qui ressuscita exprès pour lui conter sa façon de penser. C’était à un endroit qu’on appelle Drumshinnel.

— En vérité ! J’ai peine à vous croire, mon ami.

— Vous pourriez le demander à ma mère, si elle vivait encore ; c’est elle qui me l’a expliqué, car moi je croyais que ce prophète avait seulement été blessé. Il annonça en propres termes l’expulsion des Stuarts, et la vengeance qui couvait sur Claverhouse et sur ses dragons. On appelait cet homme Habacuc Mucklewrath.

— Il me semble que vous vivez dans une contrée riche.

— Nous n’avons pas à nous plaindre ; mais si vous aviez vu le sang couler sur ce pont, vous n’en auriez pas dit autant.

— Vous voulez parler de la bataille qui a eu lieu il y a quelques années ; j’étais près de Monmouth, et j’en vis quelque chose.

— Alors vous avez vu la bataille qui me suffira pour le reste de mes jours. Je devinais bien que vous étiez un troupier.

— Et de quel côté vous battiez-vous, mon ami ?

— Holà ! Monsieur : je ne vois pas qu’il me soit utile de répondre à cette question sans savoir qui me l’adresse.

— Je loue votre prudence ; mais elle n’est pas nécessaire, car je sais que vous serviez Henry Morton.

— Et qui vous a dit ce secret ? reprit Cuddy avec surprise. Plût à Dieu que mon maître vécût encore pour en être témoin !

— Qu’est-il donc devenu ?

— Il s’était embarqué pour la Hollande. Tout l’équipage a péri, et jamais on n’en a eu de nouvelles.

— Vous lui étiez attaché ? continua le cavalier.

— Pouvais-je faire autrement ? Il ne fallait que le regarder pour l’aimer. C’était un brave soldat. Oh ! si vous l’aviez vu seulement se précipiter sur ce pont ! Il y avait avec lui ce whig qu’on appelle Burley… Ah ! si deux hommes avaient pu suffire pour remporter une victoire, nous n’aurions pas eu sur l’échine ce jour-là.

— Vous parlez de Burley ? savez-vous s’il vit encore ?

— C’est ce dont je ne m’inquiète guère. On ne sait pas trop ce qu’il est devenu. On assure qu’il est passé en pays étranger, mais qu’ayant été reconnu pour un des assassins de l’archevêque, aucun des nôtres n’a voulu le voir. Il est donc revenu en Écosse, plus intraitable que jamais ; il a rompu avec ses amis presbytériens ; enfin, à l’arrivée du prince d’Orange, il n’a pu obtenir aucun com-