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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

Claverhouse se fit ensuite servir quelque nourriture, et invita Henry à se mettre à table, ajoutant que ce jour avait été pour eux deux un jour de fatigue. Mais les secousses qu’il avait successivement éprouvées avaient ôté à Morton tout appétit ; seulement il était dévoré par une soif ardente, et il témoigna le désir de la satisfaire.

— Je vous ferai raison de tout mon cœur, dit Claverhouse ; voilà un pot plein d’ale brune. À votre santé, monsieur Morton.

Morton portait le verre à sa bouche, quand une décharge de mousqueterie annonça que les trois prisonniers avaient vu le terme de leur existence ; il tressaillit et le reposa sur la table.

— Vous êtes jeune, monsieur Morton, lui dit Claverhouse en vidant tranquillement le sien : vous n’êtes pas encore habitué à de pareilles scènes, et votre sensibilité ne vous ôte rien de mon estime ; mais le devoir et la nécessité finissent par y accoutumer.

— J’espère que jamais ils ne produiront cet effet sur moi.

— J’ai pensé comme vous : croiriez-vous qu’au commencement de ma carrière la vue d’un homme blessé me faisait frémir. — Mais, au fait, pourquoi la mort, qui nous environne de toutes parts, nous causerait-elle tant d’épouvante ? Chaque heure que nous entendons sonner n’annonce-t-elle point le trépas d’un mortel ? Pourquoi donc nous inquiéter de prolonger notre existence ou celle des autres ? C’est une véritable loterie. Minuit devait être votre dernière heure ; l’heure a sonné : vous êtes vivant, et les coquins qui comptaient vous assassiner n’existent plus. Qu’est-ce que la douleur qu’on éprouve pour mourir ? elle ne vaut pas la peine d’y songer, puisque tôt ou tard il faut la subir de manière ou d’autre. Quand je pense à la mort, monsieur Morton, c’est dans l’espoir de la trouver un jour sur le champ de bataille, après avoir noblement combattu, au milieu des cris de victoire : voilà ce qui vaut la peine de vivre, la peine d’avoir vécu.

Le colonel achevait à peine ces paroles, qu’une figure sanglante parut dans un coin de la chambre ; Morton reconnut les traits de l’énergumène Habacuc.

Habacuc fixa sur Claverhouse des yeux animés encore du feu d’un délire fanatique, et s’écria :

— Te fieras-tu à ta lance et à ton arc, à ton coursier et à ta bannière ? Dieu ne te demandera-t-il pas compte du sang innocent ? Les princes pour qui tu as vendu ton âme à l’ennemi des hommes descendront de leur trône, et seront bannis sur les terres étrangères ; leur nom deviendra un sujet de désespoir, de mépris et de malédiction. Je te somme, John Grahame, de comparaître