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LE NAIN NOIR

— Je ne prétends pas que nos amusements champêtres soient des exercices inspirés par l’amour de l’humanité, et cependant…

— Et cependant ils sont préférables à votre occupation. Il vaut mieux que l’homme assouvisse sa férocité sur les poissons que sur les créatures de son espèce. Mais pourquoi parlè-je ainsi ? Pourquoi la race des hommes ne s’entr’égorge-t-elle pas, jusqu’à ce que, le genre humain détruit, il ne reste plus qu’un monstre énorme comme le Béhémoth de l’Écriture ; qu’alors ce monstre, le dernier de la race, privé de nourriture, s’éteigne, consumé par la faim ?

— Vos actions valent mieux que vos paroles, Elshie : votre misanthropie maudit les hommes, et cependant vous les soulagez !

— Pourquoi ? Écoutez : vous êtes un de ceux que je vois avec le moins de dégoût ; et, par compassion pour votre aveuglement, je veux bien perdre avec vous quelques paroles. — Je ne puis envoyer dans les familles la peste et la discorde ; mais n’atteins-je pas au même but en conservant la vie de quelques hommes, puisqu’ils ne vivent que pour s’entre-détruire ? Si j’avais laissé mourir Alix de Bower, l’hiver dernier, Ruthwen aurait-il été tué ce printemps pour l’amour d’elle ? Lorsque Willie de Westburnflat était sur son lit de mort, on laissait les troupeaux paître librement dans les champs ; aujourd’hui qu’il est guéri, on les surveille avec soin, et l’on ne se couche pas sans avoir déchaîné le limier de garde et tous les autres chiens.

— J’avoue que cette dernière cure n’a pas rendu un grand service à la société ; mais par compensation, vous avez guéri, il y a peu de temps, mon ami Hobbie, d’une fièvre.

— Ainsi pensent et parlent les enfants de la boue, dit le Nain en souriant avec malignité. Avez-vous jamais vu le petit d’un chat sauvage dérobé tout jeune à sa mère pour être apprivoisé ? Comme il est doux ! comme il joue avec vous ! Mais faites-lui sentir votre gibier ou vos agneaux, et sa férocité va se manifester.

— C’est l’effet de son instinct. Mais qu’est-ce que cela a de commun avec Hobbie ?

— C’est son emblème. Il est, quant à présent, apprivoisé ; mais qu’il trouve l’occasion d’exercer son penchant naturel, vous verrez le jeune limier aspirer le sang ; vous le verrez aussi cruel, aussi féroce que le plus terrible de ses ancêtres. Nierez-vous qu’il ne vous excite souvent à tirer une vengeance sanglante d’une injure dont votre famille a eu à se plaindre quand vous n’étiez encore qu’un enfant ?

Earnscliff tressaillit. Le solitaire ne parut pas s’apercevoir de sa surprise, et continua : — Eh bien, la trompette sonnera, le jeune