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LE NAIN NOIR

— Vieux Peght ! s’écria la grand’mère ; non, ce n’est pas un Pegth. — C’est l’Homme brun des marécages[1]. Ô maudits temps que ceux où nous vivons ! Que va-t-il donc arriver à ce malheureux pays ? Jamais il ne paraît que pour annoncer quelque désastre. Feu mon père m’a dit qu’il avait fait une apparition l’année de la bataille de Marston-Moor, une autre fois du temps de Montrose, et une autre la veille de la déroute de Dunbar. De mon temps même, on l’a vu deux heures avant le combat du pont de Bothwell ; et l’on dit encore que le laird de Benarbuck, qui avait le don de seconde vue, s’entretint avec lui quelque temps avant le débarquement du duc d’Argyle.

Earnscliff prit la parole. Il était convaincu, dit-il, que l’être qu’ils avaient vu était un malheureux privé de raison, mais il parlait à des oreilles qui ne voulaient pas entendre, et tous se réunirent pour le conjurer de ne pas songer à retourner le lendemain à Mucklestane-Moor.

— Songez donc, mon cher enfant, lui dit la vieille dame, songez que vous devez prendre garde à vous plus que personne. La mort sanglante de votre père, les procès et maintes pertes ont faits de grandes brèches à votre maison. — Et vous êtes la fleur du troupeau ; vous devez moins que personne vous risquer dans de téméraires aventures.

— Mais bien certainement, mistress Elliot, vous ne voudriez pas que j’eusse peur d’aller dans une plaine ouverte, en plein jour ?

— Et pourquoi non ? Je n’empêcherai jamais ni mes enfants ni mes amis de soutenir une bonne cause, au risque de tout ce qui pourrait leur arriver ; mais, croyez-en mes cheveux blancs, se jeter dans le péril de gaieté de cœur, c’est agir contre la loi et l’Écriture.

Earnscliff ne répondit rien, car il voyait que ses arguments seraient paroles perdues, et l’arrivée du souper mit fin à la conversation. Miss Grâce était entrée peu auparavant, et Hobbie s’était placé à côté d’elle, non sans avoir lancé à Earnscliff un coup d’œil d’intelligence. Un entretien enjoué, auquel la grand’mère prit part avec cette bonne humeur qui sied si bien à la vieillesse, fit reparaître sur les joues des jeunes personnes les roses qu’en avait bannies l’histoire de l’apparition, et à la suite du souper on dansa ou l’on chanta aussi gaiement que s’il n’eût pas existé d’apparitions dans le monde.

  1. Sans doute de la famille des Browniss.