Page:Scott - Nain noir. Les puritains d'Ecosse, trad. Defauconpret, Garnier, 1933.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
LE NAIN NOIR

— Pourquoi êtes-vous si éloigné de toute habitation ? Êtes-vous égaré ? suivez-moi, je vous donnerai un logement pour la nuit.

— À Dieu ne plaise ! s’écria Hobbie involontairement. — J’aimerais mieux loger tout seul dans le fond du gouffre de Tarrasflow.

— Passez votre chemin ! répéta cet être extraordinaire : je n’ai besoin ni de vous ni de votre logement. Il y a cinq ans que ma tête n’a reposé dans l’habitation des hommes.

— C’est un homme qui a perdu l’esprit, dit Earnscliff.

— Venez avec moi, mon ami, vous paraissez éprouver quelque grande affliction ; l’humanité ne me permet pas de vous abandonner ici.

— L’humanité ! s’écria le Nain. Vrai lacet de bécasse.

— Je vous dis, mon bon ami, que vous ne pouvez juger de votre situation. Vous périrez dans cet endroit désert. Il faut, par compassion pour vous, que nous vous forcions à nous suivre.

— Je n’y toucherai pas du bout du doigt, dit Hobbie.

— Si je péris ici, dit le Nain, que mon sang retombe sur ma tête ! mais vous aurez à vous accuser de votre mort, si vous osez souiller mes vêtements d’une main d’homme.

En ce moment la lune jeta une clarté plus pure, et Earnscliff vit que cet être singulier tenait en main quelque chose qui brilla comme la lame d’un poignard ou le canon d’un pistolet. C’eût été folie de vouloir s’emparer d’un homme ainsi armé. Earnscliff voyait d’ailleurs qu’il n’avait aucun secours à attendre d’Hobbie. Il rejoignit donc son compagnon, et ils continuèrent leur route.

Nos deux compagnons firent d’abord, chacun de son côté, leurs réflexions. Lorsqu’ils furent assez éloignés pour ne plus ni voir ni entendre le Nain, Hobbie dit à son compagnon :

— Je vous garantis qu’il faut que cet esprit ait fait ou ait souffert bien du mal quand il était dans son corps, pour qu’il revienne ainsi après être mort et enterré.

— Je crois que c’est un fou misanthrope, répondit Earnscliff.

— Vous ne croyez donc pas que ce soit un être surnaturel ?

— Moi ? non, en vérité !

— Eh bien, je suis presque d’avis moi-même que ce pourrait bien être un homme véritable.

— Quoi qu’il en soit, je reviendrai ici demain. Je veux voir ce que sera devenu ce malheureux.

— En plein jour !… alors, s’il plaît à Dieu, je vous accompagnerai. Mais nous sommes plus près d’Heugh-Foot que d’Earnscliff ; ne feriez-vous pas mieux, à l’heure qu’il est, de venir coucher à la ferme ? Nous enverrons le petit garçon avertir vos gens que vous êtes chez nous.