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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

à un vieux soldat comme moi, et il doit être charmé de rendre service au fils d’un autre vieux soldat. Je n’ai jamais connu un bon militaire qui ne fût franc et humain ; et quoiqu’ils soient quelquefois obligés d’être sévères, j’aime encore mieux que l’exécution des lois soit confiée à eux qu’à quelque légiste minutieux.

Telles étaient les pensées qui occupaient le major Miles Bellenden lorsque Gudyil (à demi ivre) prit la bride de son cheval pour l’aider à mettre pied à terre dans la cour du château de Tillietudlem. Eh bien, Gudyil, lui dit-il, quelle diable de discipline observez-vous donc ? Vous avez déjà lu la bible de Genève ce matin ?

— J’ai lu les litanies, dit John branlant la tête avec toute la gravité d’un ivrogne. — Que voulez-vous, monsieur le major ? la vie est courte : nous sommes des fleurs des champs, des lis de la vallée.

— Des fleurs, des lis, mon camarade ! de vieux soldats comme vous et moi sont plutôt des chardons et des orties. Mais je vois que vous pensez qu’ils valent encore la peine d’être arrosés.

— Je suis un vieux soldat, monsieur le major, grâce au ciel.

— Dites un vieux buveur. Annoncez-moi à votre maîtresse.

Gudyil le conduisit vers une salle où lady Marguerite était occupée à faire des préparatifs convenables pour la réception du colonel Grahame de Claverhouse, que l’un des partis qui divisaient l’Écosse honorait et respectait comme un héros, tandis que l’autre le détestait comme un tyran. — Ne vous ai-je pas répété, Mysie, disait-elle à une de ses femmes, que je voulais que tout fût rangé aujourd’hui absolument dans le même ordre que le jour à jamais mémorable où Sa Majesté daigna déjeuner à Tillietudlem ??

— Sans doute, Milady, et autant qu’il m’en souvient…

— Vous avez donc oublié que Sa Majesté poussa vers sa droite, près d’une bouteille de vin de Bordeaux, un pâté de venaison qui était placé à sa gauche, en disant qu’ils étaient trop bons amis pour qu’on dût les séparer ?

— Je m’en souviens fort bien, Milady, et vous me l’avez rappelé plusieurs fois ; mais j’ai cru qu’il fallait mettre les choses dans l’état où elles étaient lorsque Sa Majesté entra dans la salle.

— Vous avez cru très mal, Mysie. Il faut que tout soit placé conformément au goût manifesté par Sa Majesté.

— Cela est fort aisé, Milady ; mais pour mettre toutes ces choses dans l’état où Sa Majesté les a laissées, il faudrait, faire une fameuse brèche au pâté.

En ce moment la porte s’ouvrit.

— Ah ! c’est vous, mon frère, reprit lady Bellenden d’un air de surprise : voilà une visite bien matinale !

— Je n’en suis pas moins le bienvenu, j’espère, répondit le major.